Revue des revues. Alors qu’aux Etats-Unis des livres sont bannis de bibliothèques (y compris le prophétique 1984, de George Orwell !) et qu’au mois de mai Donald Trump a limogé la directrice de la Library of Congress (« bibliothèque du Congrès »), La Nouvelle Revue française (NRF) a eu la bonne idée de consacrer son numéro de fin d’année à ces institutions.
Dans la guerre culturelle qui se joue aujourd’hui, le livre est un enjeu. Les bibliothèques sont-elles en danger ? « Si elles sont aujourd’hui encore perçues comme des sanctuaires inattaquables, des forteresses de la connaissance et de la mémoire, il faut souvent qu’une bibliothèque brûle à Tombouctou ou à Bagdad, de Sarajevo au Cap, pour que leurs valeurs matérielles, leur beauté immatérielle se rappellent à nous », écrit en introduction Olivia Gesbert, qui dirige depuis deux ans la mythique revue des éditions Gallimard, qui compte désormais quatre numéros par an.
Plusieurs auteurs prestigieux se relaient pour éclairer la menace en cours. Analysant la situation américaine, l’ancien directeur de la Harvard Library Robert Darnton rappelle que les bibliothèques sont depuis toujours des « champs de bataille », dont il retrace l’histoire. Aux Etats-Unis, « on aurait tort d’attribuer cette obsession de la censure des livres à la seule offensive culturelle trumpiste », dit-il. Portant surtout sur les ouvrages parlant de sexualité et de « tout ce qui brouille les lignes de démarcation entre ce qui est supposé être masculin et (…) féminin », cette censure dérive selon lui d’attitudes profondément enracinées dans les couches populaires américaines.
Eloge des temples du livre
Alors qu’une bibliothèque privée est l’« autobiographie d’un lecteur », une bibliothèque nationale est « une réponse collective à la malédiction de Babel, la transformation alchimique du chaos des langues auquel Dieu a condamné l’hubris humaine en un ordre intelligent et généreux, mais aussi, et c’est essentiel, en un instrument de dialogue et de compréhension », écrit Alberto Manguel, ancien directeur de la Bibliothèque nationale d’Argentine, dans un très bel éloge des temples du livre. Il cite Jorge Luis Borges (1899-1986), pour qui les termes « univers » et « bibliothèque » étaient synonymes. Ces institutions craignaient autrefois l’eau et le feu ; la menace aujourd’hui est l’intelligence artificielle, « qui porte la tentation d’abandonner notre humanité à des machines statistiques ».
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