Les casquettes rouges sont toujours là, les slogans aussi. Mais derrière cette unité de façade, l’America Fest laisse déjà transparaître un malaise au cœur du camp pro-Trump. Réunie à Phoenix, la grand-messe annuelle de Turning Point USA (TPUSA), la plus influente organisation de jeunes conservateurs du pays, s’est transformée dès son ouverture jeudi 18 décembre, en théâtre des dissensions qui minent le mouvement MAGA.
Plus de 30 000 participants sont attendus d’ici dimanche pour assister aux conférences consacrées à la religion ou à la « guerre culturelle », une affluence record selon les organisateurs. JD Vance, Donald Trump Jr. ou encore Steve Bannon figurent parmi les têtes d’affiche, réunies sur une grande scène aux effets pyrotechniques, dans une ambiance empruntant autant au meeting politique qu’au concert de rock. Mais l’atmosphère n’est plus celle de l’euphorie de 2024, lorsque Donald Trump avait utilisé la tribune pour célébrer sa réélection.
Certains républicains estiment que le décès de Charlie Kirk, fondateur et figure fédératrice de Turning Point USA assassiné en septembre, a laissé un vide à la tête du mouvement, accélérant des luttes internes jusqu’alors contenues. Ami de nombreux influenceurs conservateurs aujourd’hui en conflit, il était perçu comme un intermédiaire rassembleur capable de désamorcer les tensions et d’aplanir les divergences sur des sujets particulièrement sensibles. Devant le public de l’America Fest, le commentateur Michael Knowles a déclaré que le talent de Charlie Kirk résidait dans sa capacité à « ramener la paix au sein d’une coalition fracturée ».
À lire aussiTurning Point USA, la machine de guerre MAGA qu’avait fondée Charlie Kirk
« Imposteurs » et « escrocs »
Dès la soirée d’ouverture, les divisions ont éclaté au grand jour. Premier orateur, l’influenceur conservateur Ben Shapiro a attaqué frontalement une partie du mouvement MAGA, accusant Tucker Carlson, Candace Owens ou Steve Bannon de propager mensonges et théories complotistes, les traitant d' »imposteurs et d’escrocs ». Il a notamment dénoncé l’invitation du suprémaciste blanc et antisémite Nick Fuentes sur le podcast de l’ex-présentateur star de Fox News Tucker Carlson, qualifiant l’entretien d' »acte d’imbécillité morale ».
Moins d’une heure plus tard, Tucker Carlson est monté sur la même scène. Moqueur, il a tourné en dérision les critiques de son ancien allié, dénonçant une tentative de « censurer et de dénoncer » les personnes qui ne partagent pas ses idées. « J’ai regardé sa prestation. J’ai ri », a-t-il lancé.
Les tensions autour d’Israël et de la guerre à Gaza cristallisent ces fractures. Une partie de la jeunesse conservatrice remet en question le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël, jugé incompatible avec l’agenda nationaliste du président américain. D’autres y voient un glissement dangereux vers l’extrémisme et la complaisance envers de figures radicales comme Nick Fuentes. Donald Trump, lui, reste en retrait. Le président évite d’arbitrer le débat sur la place du suprémaciste blanc Nick Fuentes au sein de MAGA. Une polémique idéologique qui a même éclaboussé la Heritage Foundation, influent think tank conservateur, critiqué pour avoir défendu « notre ami Tucker Carlson » de son droit de débattre avec n’importe qui.
« Nick Fuentes bénéficie d’un soutien considérable », rappelle auprès de la BBC l’essayiste américaine Laura Field, spécialiste de théorie politique. « Une partie de l’énergie et du pouvoir dont dispose aujourd’hui le mouvement conservateur provient du fait qu’il a su séduire cette frange du Parti républicain. »
À lire aussiInterview de Nick Fuentes : le mouvement MAGA se divise sur Israël et l’antisémitisme
Turning Point USA est par ailleurs secoué par les théories du complot propagées par Candace Owens, ancienne directrice de la communication de l’organisation. Sans preuve, l’influenceuse trumpiste a affirmé sur son podcast très populaire que des espions israéliens étaient impliqués dans la mort de Charlie Kirk et qu’il avait été trahi par des proches. Les autorités affirment que le suspect a agi seul. « On a toujours besoin de croire qu’il y a une autre version de l’histoire. Or, parfois, il n’y en a pas », a déclaré sur CBS News Erika Kirk, veuve de Charlie Kirk et nouvelle dirigeante de TPUSA, dénonçant une exploitation de la tragédie familiale. “Arrêtez. C’est tout ce que j’ai à dire. Arrêtez ! »
Une bataille de succession déjà lancée
À ces conflits idéologiques s’ajoute une bataille de succession déjà engagée. La Constitution empêchant Donald Trump de briguer un nouveau mandat en 2028, les ambitions personnelles se dessinent. Lors d’une réunion la semaine dernière à la Maison Blanche avec les membres de son cabinet, le président l’a lui-même reconnu : son successeur « est probablement assis à cette table ».
Turning Point USA a déjà désigné son favori. Sur la scène de l’America Fest, Erika Kirk a affirmé dans son discours d’ouverture vouloir « faire élire JD Vance, l’ami de mon mari, comme 48e [président des États-Unis] », déclenchant une ovation. Le vice-président, qui n’a pas encore annoncé sa candidature, apparaît comme le favori des partisans MAGA, soutenu par les fils Trump et une partie des milliardaires libertariens de la Silicon Valley.
À lire aussiQuel rapport entre la mort de Charlie Kirk et une mouvance d’extrême droite adepte de mèmes ?
Mais d’autres figures gravitent aussi autour de l’après-Trump : son secrétaire d’État Marco Rubio, déjà candidat aux primaires républicaines en 2016 ; son secrétaire à la Santé Robert F. Kennedy Jr., incarnation des alliances idéologiques improbables nouées par Trump ; ou encore sa secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem, symbole d’une ligne dure sur l’immigration. Rien ne garantit pourtant que l’héritier de MAGA viendra du cercle rapproché du président.
À moins d’un an des élections de mi-mandat de 2026, que Donald Trump admet pouvoir perdre, le camp MAGA – longtemps uni par la seule figure du président – apparaît plus fragmenté que jamais. Le 21 novembre, Marjorie Taylor Greene, soutien fidèle du président américain a même annoncé sa démission de la Chambre des représentants, après avoir publiquement tancé la gestion de l’affaire Epstein. Des divisions qui inquiètent jusqu’aux organisateurs de l’America Fest. « Depuis l’assassinat [de Charlie Kirk], nous voyons des ponts brûlés qui n’auraient jamais dû l’être », a ainsi reconnu Erika Kirk.









