Café, cernes et mauvaise mine. Ce vendredi soir sur les bancs de l’hémicycle, Sébastien Lecornu semblait à la fois concentré et fatigué. Le Premier ministre aurait pourtant pu afficher un petit sourire. Il venait de réussi à franchir un premier obstacle avec l’adoption du volet recettes du budget de la Sécu. Mais une haie beaucoup plus haute l’attend et il le sait, celle du vote de l’ensemble du projet de loi ce mardi à l’Assemblée.
« Profil bas »
Si le Normand a réussi à valider la première étape, c’est moins que son budget a su convaincre que parce que les opposants ne sont guère mobilisés. Les députés RN farouchement opposés par exemple à la taxe d’un milliard d’euros sur les mutuelles? Ils n’ont été que 55 à voter contre sur un groupe de 123 membres.
Les députés écologistes qui s’agacent contre la baisse du budget des hôpitaux ont également annoncé voté contre. Mais seuls 11 d’entre eux ont appuyé sur le bouton « contre » sur un groupe de 38.
« On a eu beaucoup de chance vendredi mais on sait tous que ça ne préjuge pas de la suite. C’est pour ça que Sébastien Lecornu a préféré faire profil bas. Rien n’est gagné », soupire un député Renaisance.
Difficile de lui donner tort: si l’on suit les consignes annoncées pour l’instant par les groupes, le vote pour de Renaissance, du MoDem, et du PS regroupe sur le papier 196 voix. Les députés qui ont pour consigne de voter contre -LFI, RN et ses alliés- représentent 210 voix.
Sur le papier, le vote est donc plié. Mais Sébastien Lecornu continue de miser sur les indécis, peut-être à raison. Le président d’Horizons Édouard Philippe a ainsi appelé ses députés à « ne pas voter pour » le budget de la Sécu. Résultat: une poignée d’entre eux ont voté pour vendredi et l’immense majorité n’est pas venue. Pourraient-ils réitérer mardi? C’est ce qu’espère le gouvernement.
Indécision
Même topo à LR où Bruno Retailleau a dénoncé dimanche sur BFMTV « un hold-up fiscal », appelant ses troupes au « choix de l’abstention ou à voter contre ». Sur 49 députés LR, 8 ont pourtant voté pour vendredi. L’ex-Premier ministre Michel Barnier, désormais député, a lui, tranché. Il s’abstiendra, a-t-il expliqué ce lundi sur TF1.
Bref, « c’est quasiment impossible de savoir qui va voter quoi », soupire un conseiller ministériel qui suit de près le dossier.
Quant à leurs collègues communistes, Liot et non-inscrits, il est tout aussi difficile de voir clair dans leurs intentions, sans compter que les socialistes eux-mêmes pourraient se diviser.
« Le Premier ministre s’est engagé (sur la suspension de la réforme des retraites), il s’est montré fiable dans toute la discussion. Je souhaite que nous puissions à notre tour être fiables », a ainsi expliqué le premier secrétaire du PS Olivier Faure ce lundi sur BFMTV.
Un vote très serré
« Je vais plaider le vote pour » lors de la réunion des députés socialistes ce mardi avant le vote, a-t-il encore insisté, laissant entendre qu’une partie de ses troupes restaient encore à convaincre.
« On est un certain nombre à avoir sorti la calculette et je pense que tout cela va être très serré, que ce soit à la fin avec un vote pour ou un vote contre », observe un député du socle commun au sein de la commission des Affaires sociales.
Bien conscient que les votes peuvent se faire et se défaire jusqu’à la dernière minute, Sébastien Lecornu continue de lâcher du lest. À l’intention des écologistes par exemple, le gouvernement prévoit de déposer mardi un dernier amendement pour augmenter l’objectif des dépenses de l’assurance-maladie de 3% au lieu de 2% avec l’espoir que cela fasse basculer la balance en sa faveur.
Pour tenter de séduire les 22 élus du groupe des Liot composé en partie de députés ultra-marins, Sébastien Lecornu a aussi proposé 100 millions d’euros supplémentaires en faveur des Outre-mer pour abonder un fonds dédié à la santé.
Ces concessions seront-elles suffisantes pour parvenir à adopter à l’arraché le budget de la Sécu ce mardi à partir de 15 heures? Si le locataire de Matignon parvient à obtenir une majorité de « pour » à l’Assemblée, le projet de loi ira ensuite au Sénat qui devrait faire de même tout en traînant des pieds.
Saut dans l’inconnu
Dans le cas contraire, les débats s’arrêteraient immédiatement. Que se passerait-il ensuite? Comme l’an dernier, le gouvernement pourrait bien faire passer une loi spéciale qui permet « l’autorisation d’emprunter » pour financer « plusieurs organismes de sécurité sociale » avant de remettre sur la table en janvier prochain un nouveau budget de la sécu. Le Premier ministre a déjà demandé à l’administration de se pencher sur les options possibles.
Et politiquement? Sébastien Lecornu pourrait-il tenir en ayant échoué sur sa seule mission politique qui était faire de passer les budgets? Maud Bregeon, la porte-parole du gouvernement a déjà évacué toute possibilité d’une démission dans les colonnes de La Tribune dimanche.
Reste la possibilité d’une motion de censure des oppositions pour le faire tomber. Et même si le Premier ministre tenait bon, il lui resterait encore à faire passer à l’Assemblée le budget de l’État 2026, bien plus sensible que celui de la Sécu. Il est actuellement entre les mains des sénateurs avant un vote au plus tard à l’Assemblée le 23 décembre. Sébastien Lecornu n’est pas prêt d’avoir le sourire.
Article original publié sur BFMTV.com









