On l’attendait depuis des mois, elle est enfin arrivée. La fashion week printemps-été 2026 de Paris, qui se tient du 29 septembre au 7 octobre, se distingue par la quantité de présentations et de défilés programmés − 111 au calendrier officiel, un record qui n’avait pas été atteint depuis 2019 et ne prend pas en compte les événements non adoubés par la Fédération de la haute couture et de la mode. Autre particularité : pas moins de huit maisons présenteront le premier show de leur nouveau directeur artistique.
Les plus attendus sont indéniablement ceux de Jonathan Anderson pour Dior, le 1er octobre, et de Matthieu Blazy pour Chanel, cinq jours plus tard. Entre les deux, on assistera aux débuts de Pierpaolo Piccioli pour Balenciaga, de Lazaro Hernandez et Jack McCollough pour Loewe, de Duran Lantink pour Jean Paul Gaultier, de Glenn Martens pour Maison Margiela, de Mark Thomas pour Carven et de Miguel Castro Freitas pour Mugler.
En attendant de voir ce que proposent ces messieurs (les femmes n’étant visiblement pas incluses dans ce grand renouvellement), la journée du 30 septembre a été rythmée par les défilés de directeurs artistiques qui, forts d’une certaine longévité dans la maison qui les emploie, ont cherché à se distinguer en poussant plus loin l’expérimentation.
Le maître en la matière, c’est Nicolas Ghesquière. Le créateur de la ligne féminine de Louis Vuitton, en poste depuis douze ans, a pris ses quartiers au Louvre, où ont lieu la plupart de ses défilés en alternance avec le Musée d’Orsay, les deux institutions bénéficiant du mécénat du groupe LVMH, propriétaire de la marque. Les invités ont profité d’une vue dégagée sur la Victoire de Samothrace en ce jour de fermeture hebdomadaire, avant de rejoindre leurs sièges dans les appartements d’été d’Anne d’Autriche, conçus par l’architecte Louis Le Vau au XVIIe siècle et fraîchement restaurés.
Le vestibule, l’antichambre, le petit salon, le cabinet de bain… Tous les espaces sont rutilants, avec leurs plafonds chargés de dorures, leur sol en marbre polychrome du Second Empire et leurs murs rouges des années 1930. Les anachronismes sont renforcés par l’ajout d’œuvres et de mobilier piochés entre le XVIIe siècle et les années 1980. Et constituent aussi le cadre idéal pour une collection qui brouille les pistes.
« Le point de départ, c’est de célébrer l’intimité, le fait de s’habiller pour soi-même, à la maison. C’est un voyage intérieur dans un appartement », explique Nicolas Ghesquière. Ses looks mélangent les idées, les styles et les matières, pour former un ensemble hybride, sans repères. C’est une veste composée de morceaux de bas-reliefs, un long gilet poilu couvert de pierres multicolores, un bustier découpé et orné d’une collerette qui se déploie sur les bras, un pull rideau bimatière avec un col cheminée, etc. A ce stade, on n’est pas loin de la recherche fondamentale.
Du bleu piscine au sable
Chez Courrèges, Nicolas Di Felice célèbre son cinquième anniversaire à la direction artistique de la marque à qui il a redonné une vigueur sexy. Dans l’enceinte du Carreau du Temple, tandis que des filles élancées investissent un décor blanc et circulaire baigné d’une lumière aveuglante, un décompte débute, égrenant les températures en degrés allant crescendo. « Avec les 10 minutes saisonnières qui me sont allouées, je ne cherche pas à délivrer un message intellectualisé, mais un ressenti : cette fois, je voulais retranscrire l’éblouissement du soleil », explique le quadragénaire.
Robe-maillot de bain deux-en-un, jupe-portefeuille courte et fendue, blouson d’où peuvent s’échapper les bras nus, débardeur qui laisse le vent s’infiltrer entre le textile et la peau, bottes sixties en très fin jersey… Dans une palette qui va du bleu piscine au sable, tout est fait pour gagner en fluidité et en légèreté. Fonctionnelle, cette garde-robe, pensée pour un monde en feu, se laisse aussi aller à des silhouettes plus pointues, avec des casquettes prolongées par un long voile qui oblitère le regard, ou des robes sans manches, bâties à l’aide d’une armature, semblable à des pare-soleil, dont les pans couvrent la moitié du visage. « Maintenir une dimension technique et expérimentale est stimulant pour les équipes : je le dois à cette maison », reconnaît Nicolas Di Felice.
Pour Stella McCartney, qui a fondé son label en 2001, l’année écoulée a été marquée par le rachat au géant LVMH de parts de sa société, la rendant de nouveau indépendante, c’est-à-dire plus libre, mais aussi plus vulnérable sur le marché. Dans le hall du Centre Pompidou, devant une flopée de stars (Helen Mirren, Robin Wright…), elle maintient toutefois sa partition, celle d’une femme affranchie. Tailleurs croisés à pantalon large, minirobes plissées à traîne, pantalons-cargo ou chemises d’homme relevées de volants : la recette se déroule sur Come Together, le tube des Beatles. « La chanson de John », comme elle dit en coulisse, sans avoir à citer Lennon.
La fille de « Paul », qui n’utilise pour façonner son prêt-à-porter « ni cuir, ni plume, ni fourrure, ni peaux exotiques », n’a pas sacrifié toute innovation pour autant. Outre des sequins à base d’algue ou de bioplastique recyclé, elle s’essaie cette fois à du raphia découpé en bandes pour des robes courtes et sphériques pas toujours seyantes ou à des plumes trompe-l’œil qui composent des maillots ou un fourreau plus convaincants. « Il s’agit en fait de brins de végétaux brodés, teints naturellement », explique-t-elle. L’illusion fonctionne. « On doit tous se réveiller, penser davantage à l’origine des matériaux que l’on porte, défend Stella McCartney. Expérimenter, ça ne veut pas dire renoncer à son amour de la mode. » Bien au contraire.










