« Autant certains films, c’est des alignements de planètes. Autant d’autres, c’est des désalignements de planètes. » Sur Si j’étais un homme, Audrey Dana a enchaîné les déconvenues: tournage reporté, casting changé à la dernière minute, conflit avec des techniciens… Et à la sortie, son film, où une femme se réveille avec un pénis, a été taxé de transphobie avant de disparaître rapidement des salles.
« Je n’ai pas réussi à faire exactement ce que je voulais », reconnaît la réalisatrice, également coscénariste et actrice principale du projet. « Je me suis laissée dénaturer. C’est souvent le cas après un gros succès, parce qu’il y a une pression des producteurs qui veulent absolument que notre film réponde à quelque chose du marché et qu’il fasse écho au succès d’avant. On m’a imposé beaucoup de choses. »
Si j’étais un homme naît dans la foulée de Sous les jupes des filles, sa première réalisation. Sortie en juin 2014, cette comédie chorale avec notamment Isabelle Adjani et Vanessa Paradis réunit 1,3 million d’entrées en France. Ce succès lui offre la possibilité d’enchaîner avec un autre projet. Elle décide alors de s’inspirer d’un rêve qu’elle avait fait à 20 ans.
« (Dans mon rêve), je me réveillais avec un sexe d’homme. Je le vivais comme une excroissance. J’étais en panique et je préparais mes affaires pour aller voir un docteur, pour comprendre ce qui m’arrivait. (Comme) ça ressemblait vachement à un sexe d’homme, je le touchais pour voir et ça réagissait. Et là je (décidais) de me masturber pour voir ce que ça faisait. »
Des centaines d’hommes interrogés
À l’époque, Audrey Dana s’était réveillée en se souvenant « dans (sa) chair » de « la sensation ce que ça faisait ». De ce rêve, elle décide de tirer une comédie.
Pour écrire son scénario, elle s’associe à Murielle Magellan (Sous les jupes des filles) et Maud Ameline (Camille redouble). Elle interroge « des centaines d’hommes » sur leur rapport au sexe, mais ne contacte pas de personnes trans. Quelques années auparavant, elle avait déjà rencontré plusieurs membres de la communauté trans pour un projet de série sur une femme trans qui n’avait pas vu le jour.
« Pour écrire ce projet, j’avais interviewé énormément de personnes trans et j’avais été justement dans une communication si fluide, si belle, si passionnante (avec elles) que je ne me suis pas posé ces questions du tout (pendant l’écriture de Si j’étais un homme) », développe la réalisatrice. « Je ne leur ai jamais parlé de mon projet Si j’étais un homme, puisqu’il est venu après. »
Première version poétique
Dans le scénario, c’est après une nuit d’orage, comme dans Big ou Ce que veulent les femmes, que l’héroïne, Jeanne (Audrey Dana), mère célibataire au bord de la crise de nerf, se réveille avec un pénis. Audrey Dana déplore la faiblesse de cet incident déclencheur.
« Il y avait une scène que j’avais écrite, que j’avais tournée, mais (qui a été coupée) où un personnage apparaissait et lui jetait un sort. Pour moi, c’était un peu une représentation divine. C’était une femme noire avec de très longues dreadlocks, âgée, sage. Elle comprenait que j’étais bloquée, qu’il fallait tout faire péter et elle me jetait un sort positif. »
Il faut dire que le projet, a beaucoup dévié des intentions de départ de la réalisatrice. Après une première version « très poétique », le scénario a basculé au fil des réécritures « dans la gaudriole ». Les producteurs « voulaient pousser à l’extrême alors que j’aurais préféré être plus fine, plus délicate. Quand tu as un pitch de film qui peut mettre mal à l’aise, il faut aller vraiment dans la douceur. »
« Tout a déraillé »
Le tournage démarre sous les pires auspices. Les catastrophes s’enchaînent. « Je perds l’acteur principal. Je suis obligée de décaler mon film de deux mois, donc je perds ensuite toute mon équipe technique. Je relance le film deux mois plus tard avec qui peut tourner puisqu’il est financé et qu’il faut y aller. Donc j’ai l’équipe technique qui est là et qui est disponible. Et c’est là que tout a déraillé. »
Sur le plateau, la réalisatrice est confrontée à un chef opérateur misogyne qui refuse d’exécuter ses décisions. Elle qui adore l’improvisation et veut tourner en permanence avec deux caméras, pour laisser les acteurs libres de créer des moments de comédie, se heurte au refus systématique du technicien. « Il me disait non », se souvient-elle.
Un climat de tension qui l’empêche de se concentrer sur certaines scènes complexes comme celle où elle se masturbe. « Faut le faire, quand même, devant toute ton équipe! Pour ça il faut du calme, du respect, un regard bienveillant et je ne l’avais pas. » Elle dénonce le comportement d’une « bande de vieux gars machos » « pas à l’aise » avec une femme aux commandes.
« Je pense avoir mal joué »
Deux semaines avant la fin du tournage, Audrey Dana fait appel à un autre chef opérateur, un ami, pour l’épauler. « J’avais besoin d’avoir un bonhomme pour me faire entendre. C’est la première fois sur ce tournage que j’ai été confronté vraiment au fait d’être une femme et de ne pas être respectée parce que je suis une femme. Ce qui est fou sur un film qui s’appelle Si j’étais un homme. »
Alors que son casting est chamboulé (elle avait notamment envisagé à l’origine Franck Dubosc et Stéphane de Groodt), la réalisatrice doit aussi gérer « des soucis » avec certains acteurs sur le plateau. Ils « ne répondaient pas quand je leur disais que je voulais qu’on essaye plus comme ci ou plus comme ça. Ils ne voulaient pas. »
Comment faire rire dans ce contexte? « J’ai l’impression d’avoir complètement raté la première moitié du film », reconnaît-elle. « Je pense avoir mal joué et avoir été trop caricaturale. J’aurais vraiment pu faire les choses différemment. (Mais) je me battais tellement pour essayer de limiter les dégâts (sur le plateau) que je n’avais pas de recul pour voir les choses bien. »
Audrey Dana déplore aussi l’apparence de son personnage dans le film. « Même sur les costumes, je n’arrivais pas. Je ne les voyais pas dans ma tête. La costumière non plus. Donc quand tu ne sais pas comment habiller ton héroïne, il y a quand même un truc qui ne va pas. » Elle regrette aussi la décision « un petit peu caricaturale » de porter des cheveux extrêmement longs pour souligner l’introversion de son personnage.
« Je m’arrachais les cheveux »
La réalisatrice est davantage satisfaite de la deuxième partie, lorsque son héroïne embrasse sa part de masculinité. « Le personnage est plus proche de moi. C’était plus facile, plus évident. » Pour l’aider à jouer, l’actrice porte par ailleurs une prothèse de pénis. « Je voulais la réalité du poids de cette chose qu’elle vit comme un handicap. (Car avoir un pénis), ça change des choses en termes de gravité et d’inconfort. »
Si le tournage est une épreuve, le montage l’est aussi. En l’absence des deux caméras pour capter toutes les improvisations, il manque souvent aux scènes des « réactions géniales » des comédiens. « Je m’arrachais les cheveux. C’était horrible. Ce n’était que des concessions, que de la souffrance. »
Au festival de l’Alpe d’Huez 2017, c’est pourtant la joie qui prime. Alice Belaïdi, qui incarne la meilleure amie d’Audrey Dana dans le film, reçoit un prix. La joie est de courte durée. Seulement 157.315 spectateurs se déplacent en salle. Pour Audrey Dana, le flop est la confirmation que le projet n’a pas été développé de la bonne manière, comme elle le pressentait.
« Il faut savoir à qui on s’adresse », insiste-t-elle. « Le tort de ce film, c’est qu’il n’aurait pas dû sortir comme une grosse comédie populaire. Je ne pense pas qu’on s’adressait à un public de grosses comédies. Le marketing (du film) ne me donnait pas envie d’aller au cinéma. Si même moi je n’avais pas envie d’aller voir mon propre film alors que c’est un sujet qui me passionne… »
La campagne marketing avait même ciblé dans un premier temps les fans de Christian Clavier, qui incarne le gynécologue de l’héroïne. « La première affiche qu’on m’a proposée, c’était Clavier tout seul », se souvient Audrey Dana. « Est-ce que les gens qui vont voir les films de Christian Clavier sont ceux qui ont envie d’aller voir l’histoire d’une femme à qui il pousse un sexe (d’homme)? Je ne crois pas. »
Comme une injustice
À la sortie, le film est accusé de transphobie par Act Up. Ce qu’Audrey Dana rejette en bloc, bien qu’elle reconnaisse des maladresses dans le marketing, notamment l’affiche où l’on pouvait lire: « Un matin, elle s’est réveillée avec un truc en plus. » « Quand je me suis fait attaquer par la communauté trans, ça a été dur », ajoute-t-elle en précisant avoir un enfant trans non-binaire et avoir compris beaucoup de choses à ce sujet.
« Je comprends, quand on ne sait pas qui a réalisé ce film, quand on ne connaît pas la personne, qu’on puisse y voir des choses insultantes ou heurtantes », poursuit-elle. « Je suis pour qu’on soit le plus proche de ce qu’on est. Je suis pour l’épanouissement de tous les humains. Donc je l’ai vécu un peu comme une injustice. (Même si) j’étais quand même assez en paix avec moi et avec qui je suis. »
Pendant le film, Jeanne répète qu’elle est « un monstre » et « une bête de foire ». Des répliques qui ont pu heurter les personnes trans. « Quand on a un sexe d’homme qui pousse en une nuit et que ce n’était pas son souhait, bien sûr qu’on va mal le vivre », se défend Audrey Dana. « Je n’ai jamais dit que les gens comme ça étaient monstrueux. C’est ce que le personnage ressent. »
« Mais plus ça va, plus elle accepte ce sexe d’homme. Au bout du film, elle est prête à s’assumer. C’est une métaphore du masculin avec lequel elle ne voulait pas se connecter. Ça part du rejet pour se réconcilier doucement mais sûrement. »
« J’étais soulagée »
Audrey Dana assure avoir obtenu le soutien de ses amis trans. « Ils me connaissent. Parce qu’ils ont vu mon regard d’amour et de bienveillance absolue et totale, d’absence totale de jugement. C’était une naïveté de ma part de croire que ça passerait crème. Ma conscience n’était pas assez élargie sur ces thématiques-là. Aujourd’hui, est ce que j’écrirais les choses de la même manière? Sans doute pas. »
Après la sortie, Audrey Dana s’isole. « Quand le film n’a pas marché, j’ai été soulagée. C’est horrible de dire ça et je suis désolée pour tous ceux qui ont investi, mais ça a été pour moi un soulagement. Si quand je ne m’écoute pas, ça fonctionne, alors ça veut dire qu’on peut faire semblant de créer. On peut fabriquer. Moi, je ne veux pas fabriquer. Je veux vraiment créer et être au plus près de ma vérité. »
Sept ans plus tard, Si j’étais un homme a trouvé une deuxième vie sur Netflix. À l’automne, le film s’est imposé dans le top 10 des films les plus vus de la plateforme. « Je reçois tous les jours des messages dithyrambiques. Soit ce ne sont pas les mêmes spectateurs, soit le monde a bougé. (Il y a) des gens que ça éclate parce que secrètement, ils avaient le fantasme de (savoir) ce que ça ferait (d’avoir un pénis). »
Article original publié sur BFMTV.com