L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
Voici l’ange cruel, mal dépoli. Kana (Yumi Kawai), beauté japonaise de 21 ans, l’incarne avec saveur : sa démarche dégingandée tranche avec sa fine silhouette, son joli minois est aux abois. Rien ne lui réussit, et elle s’en balance : ni son couple rangé avec un agent immobilier, Honda (Kanichiro), ni sa relation bagarreuse avec Hayashi (Daichi Kaneko), un artiste à la fine moustache dont elle moque les créations (« Tu te prends pour qui ? »). Sélectionné à la Quinzaine des cinéastes, à Cannes, Desert of Namibia, second long-métrage de Yoko Yamanaka, née en 1997, est un ovni, assurément. Et l’héroïne, une tornade muette.
Kana est dans le tout ou rien : ivre la nuit, dans ses déambulations tokyoïtes ; morne le jour, dans le centre d’épilation au laser où elle est employée. Un mélange de luxe et d’arnaque où l’on promet la peau douce éternelle aux clientes réchauffées sous les couvertures. Qui frémissent à chaque passage de l’appareil. Il faut être un peu bête pour souffrir ainsi, semble nous dire la cinéaste, cultivant l’irrévérence, comme un décalque de son héroïne.
Kana a le rire méchant : l’amoureux numéro un puis le numéro deux en feront les frais. Le premier, beau ténébreux, attentionné, se fait piéger en obéissant aveuglément à son patron (comme il se doit au Japon). Lequel lui ordonne, lors d’un week-end en séminaire, de venir se détendre dans un bar à hôtesses. Il en est malade : « Je n’ai pas bandé », jure-t-il à Kana. Celle-ci s’en fiche. Cela ne se passe pas mieux avec son nouvel amant ; dans le deux-pièces minuscule, les scènes de vie conjugale se conjuguent avec les poings et les cris, avant de s’apaiser comme si de rien n’était, comme à la fin d’un spectacle.
Bolide lancé tout à trac
Est-ce un film, une performance, une œuvre godardienne ? Sur fond rose bonbon, l’héroïne semble subitement s’échapper du film : courant sur un tapis de course, comme à la salle de gym, elle regarde le feuilleton de sa vie sur l’écran de son téléphone. La cinéaste prend plaisir à nous semer, tout en créant des images entêtantes, comme cette étrange voisine aux airs d’ange gardien. Il y a aussi ce dialogue bizarre, dans un café, lorsqu’une copine apprend à Kana le suicide d’une ancienne élève du lycée. Kana fait mine d’écouter, tout en tendant une oreille à la table d’à côté, où se tiennent des propos salaces.
Yumi Kawai, actrice en herbe, était encore au lycée lorsqu’elle est venue voir Yoko Yamanaka qui présentait son premier « long », Amiko (2018), lui demandant de penser à elle pour son prochain film. Dont acte. Tel un bolide lancé tout à trac, la comédienne passe par tous les états et assure le numéro : elle tombe, roule dans l’escalier, réussit les virages dans le burlesque et le vide.
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