Le procès de l’assassinat Samuel Paty a débuté le 4 novembre devant la cour d’assises spéciale de Paris.
Huit accusés sont jugés pour avoir participé, à divers degrés, aux faits commis par le terroriste Abdoullakh Anzorov, tué le jour du crime par la police.
Ce mardi, Audrey F., principale du collège du Bois d’Aulne où exerçait la victime, est revenue sur les dix jours précédant l’attaque, où tout a basculé.
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Le procès de l’assassinat de Samuel Paty
Pendant plus de cinq heures, elle est revenue sur les dix jours qui ont précédé le crime avant de relater la terrible journée du 16 octobre 2020. Ce mardi 12 novembre, au procès de l’assassinat de Samuel Paty où comparaissent huit accusés , Audrey F., ancienne principale du collège du Bois d’Aulne (Yvelines) où enseignait le professeur d’histoire-géographie depuis 2017 a décrit l’évolution d’une situation qui a échappé à tout le monde malgré ses alertes et ce, « dans un établissement où il faisait bon-vivre ».
Une élève exclue pour son comportement
À l’origine de ce drame, une polémique lancée par une élève : Zohra, 13 ans. La collégienne, « malade », n’a pourtant pas assisté à la leçon du professeur intitulée « Situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie » dispensé aux classes de 4ᵉ, les 5 et 6 octobre 2020 et durant laquelle Samuel Paty montre des caricatures du prophète Mahomet, dont une où ce dernier est nu.
Le 8 octobre, la maman de cette élève de 4ᵉ se rend dans le bureau de la principale « survoltée, énervée, agacée », ce, alors qu’elle vient de recevoir un message lui disant que sa fille est exclue pour deux jours en raison de son comportement et de ses absences répétées. « La maman me dit que sa fille est exclue par M. Paty car elle a refusé de sortir de son cours quand M. Paty a montré des caricatures du prophète nu, détaille la responsable du collège, aujourd’hui proviseure dans un lycée international en Chine, chemisier parme, veste grise, à la barre. Je lui dis que je pense qu’elle a fait ça (cet esclandre) car elle a reçu le SMS d’exclusion de sa fille. Elle balaie ça d’un revers de la main et me dit que son mari va venir accompagné ».
Un entretien houleux
Elle ne tarde pas à mettre la menace à exécution. Dès le vendredi 9 octobre, après avoir diffusé une vidéo sur les réseaux sociaux pour dénoncer le comportement du professeur, Brahim Chnina, père de l’élève en question et aujourd’hui dans le box des accusés, se rend au collège, avec le militant islamiste Sefrioui et exige de voir la principale.
« M. Sefrioui se présente comme responsable des imams de France. Il prend le lead sur l’entretien. Il refuse qu’un ‘voyou’ utilise la liberté de la presse pour montrer des caricatures du prophète. Il me demande plusieurs fois de virer le professeur, explique la responsable devant le tribunal. Ils disent que c’est inadmissible, qu’ils ont attendu une heure devant le collège avant de pouvoir me rencontrer et que ‘s’ils avaient été juifs, ça ne se serait pas passé comme ça' », se souvient-elle encore.
Ce 9 octobre, l’entretien se termine, mais la principale n’est pas rassurée. Abdelhakim Sefrioui envisage un « couscous républicain » devant le collège pour dénoncer les agissements de Samuel Paty. Une deuxième vidéo comprenant les propos de Brahim Chnina, une interview de sa fille, « de la propagande » ainsi que le nom du professeur est publiée sur les réseaux sociaux. Elle est vue de très nombreuses fois. « C’est évident, c’est ça qui va nous mettre dedans », affirme aujourd’hui Audrey F.
« Ce serait reculer que de rester chez moi »
Dans la foulée, la principale alerte les autorités sur la situation : le référent police, l’inspecteur vie scolaire, le directeur académique, le maire de Conflans-Sainte-Honorine… Mais dans le courant du week-end, des messages sont envoyés aux parents et aux professeurs. Samuel Paty, « embêté » de la situation depuis plusieurs jours, prévient ses collègues qu’il est « menacé par des islamistes locaux » . Plusieurs sont en pleurs lorsqu’ils reviennent au sein du collège, le lundi 12 octobre, dans la salle des professeurs.
Le lendemain, la principale accompagne Samuel Paty au commissariat pour déposer plainte. Elle évoque la protection fonctionnelle et lui propose de rester chez lui jusqu’aux vacances. « Ce serait reculer que de rester chez moi », estime alors le professeur. Le mercredi 14 octobre, il ne travaille pas et le 15, Audrey F. a l’impression que la situation s’améliore : « Il n’y a plus d’appel malveillant, plus d’appel de parents ».
Pour elle, le vendredi, « la situation s’était plutôt apaisée ». « Je savais que des professeurs ramenaient Samuel Paty chez lui. Je me dis que c’est les vacances, que l’on va pouvoir souffler après ces dix jours », se remémore-t-elle ce mardi à l’audience.
« Le major m’appelle pour me dire que quelqu’un vient de se faire décapiter »
Mais à 16h45, ce vendredi 16 octobre, la sonnerie du collège retentit. « Dix minutes après, le major m’appelle sur mon portable pour me dire que quelque chose d’horrible vient de se produire, que quelqu’un vient de se faire décapiter. Je pense à M. Paty tout de suite. J’ai le terme de ‘fatwa’ qui me vient. Le policier […] bien qu’il ait vu Samuel Paty pendant deux heures, il est incapable de me dire si c’est lui ou pas. Il me demande une photo », raconte l’ancienne principale du collège du Bois d’Aulne.
À 19h, Audrey F. apprend qu’il s’agit bien du professeur d’histoire-géographie. « J’étais sidérée. Je me suis adossée au mur, j’ai glissé doucement », détaille-t-elle à la cour. Depuis, elle tente d’avancer. « C’est difficile pour moi de répondre à la question tout simplement comment ça va. Moi, j’ai envie de dire : ‘Moi j’ai encore ma tête sur mes épaules alors ça va, ça peut aller’. Mais, j’ai pas réussi à le protéger », regrette-t-elle, la voix tremblante.
Qu’attend aujourd’hui cette partie civile de ce procès ? « Je ne pourrai pas avancer tant que ces personnes ne seront pas désignées coupables. Je ne vais pas voir de psy. Depuis quatre ans, je me suis réfugiée dans mon travail. Je me dis que s’il y a une justice, peut-être que je vais réussir à avancer », conclut Audrey F.