Après la disparition des dinosaures, il y a soixante-six millions d’années, l’ensemble du vivant est aujourd’hui menacé. Les activités humaines en sont la première cause. Comment réinventer la relation entre l’homme et le vivant ? Quelles actions permettent d’endiguer l’érosion de la biodiversité ? Un retour au « sauvage » pourrait-il ralentir cette extinction ? Comment les espèces pourront-elles s’adapter au changement climatique ? Des solutions existent.
Avec le changement climatique, la biodiversité disparaît. Quels mots poser sur cette situation ?
Je parlerais d’« effondrement » – un terme plus fort – plutôt que de « déclin ». Nous sommes dans un vortex d’appauvrissement des espèces. Pourtant, comme pour le changement climatique, il est souvent difficile d’appréhender un tel phénomène car il est complexe. La richesse de la biodiversité implique plusieurs facteurs : la diversité génétique entre les espèces, leur nombre et leurs interactions. C’est un énorme réseau qui évolue à travers des écosystèmes riches et variés.
Quelles sont les principales causes de l’effondrement de la biodiversité ?
Il y a bien sûr le changement climatique, qui provoque sécheresses, inondations, maladies, mais aussi la disparition des habitats liée aux coupes de forêts, à l’assèchement des zones humides… Plus les aires de répartition sont réduites, plus les espèces qui y vivent risquent de disparaître rapidement et facilement.
Autre cause : les prélèvements. C’est le cas du bois dans les forêts (+ 40 % en quarante ans), mais aussi de la surpêche (50 % des poissons qui arrivent dans les ports français). Il faut également citer les trafics, qui concernent 500 millions d’animaux par an dans le monde. De leur côté, les pollutions, et notamment les pesticides, intoxiquent et tuent, eux aussi, le vivant. Cinq millions de tonnes sont utilisées chaque année, et leur toxicité a fortement augmenté. Enfin, nos transports ont augmenté de 1 000 % en cinquante ans, occasionnant le déplacement de plus de 35 000 espèces loin de leurs aires d’origine ; une fois installées, elles peuvent concurrencer et éteindre les espèces locales. C’est le cas par exemple avec le moustique-tigre, le ragondin, le frelon asiatique.
Qu’avons-nous à perdre avec cet effondrement de la biodiversité ?
Quand on parle de biodiversité, on pense souvent aux animaux ou aux écosystèmes charismatiques des pays tropicaux. Mais on oublie souvent la biodiversité ordinaire qui nous accompagne chaque jour en nous nourrissant, en nous chauffant, en nous habillant… La biodiversité régule aussi le climat grâce à la photosynthèse des plantes et des algues qui absorbent le gaz carbonique. Mais en utilisant des pesticides, on diminue l’abondance des pollinisateurs. Résultat : des champs de colza peu ou pas pollinisés perdent par exemple 30 % de leur production. Les effets sont donc immédiats sur l’agriculture et l’économie.
Autre cas, celui des arbres, stressés par des sécheresses à répétition, devenus plus fragiles et qui réalisent moins de photosynthèse et captent moins de gaz carbonique. Enfin, en morcelant les milieux naturels et en cohabitant maladroitement avec la biodiversité, on favorise l’émergence de maladies. Cela a été le cas du premier SRAS, d’Ebola, sans compter aussi la sélection d’agents infectieux virulents dans nos élevages industriels, comme avec la grippe aviaire.
L’évolution de notre rapport au vivant nous a-t-elle fait perdre le lien avec cette biodiversité que nous ne savons plus respecter et protéger ?
Ce lien s’est détérioré. Mais je n’aime pas dire que nous sommes aujourd’hui « déconnectés » car cela voudrait dire que nous avons un jour été « connectés ». Si certains de nos grands-parents étaient ruraux et plus proches de la nature, ils n’avaient pas toujours conscience de son fonctionnement intime et de son importance. Ils n’avaient pas forcément une meilleure gestion, mais plutôt une gestion à moindre impact, sans tronçonneuse ni pesticides issus de la chimie de synthèse. Par contre, je crois qu’on peut dire que nous sommes « déconnectés » des conséquences de nos actions. Trop de pesticides mal utilisés nuisent, par exemple, à la biodiversité, mais aussi à notre propre santé.
L’être humain peut-il aider la biodiversité à se régénérer ou, autre contraire, vaut-il mieux la laisser tranquille ?
Le but ne devrait pas être de réglementer à la marge pour diminuer nos pressions, mais plutôt de changer en amont nos systèmes de production et nos habitudes de consommation afin que nos sociétés deviennent plus durables. On appelle cela un « changement transformateur ». Cela consiste à mettre en place des solutions fondées sur la nature qui soient positives pour la biodiversité, mais aussi pour l’être humain, générant ainsi des cobénéfices. Pour chaque action, il nous faudrait prendre en compte les externalités négatives en matière d’environnement. En clair, intégrer dans chaque projet le calcul de l’impact qu’il va avoir sur l’environnement, afin d’adapter les mesures prises et d’aller vers des compromis. Par exemple, si l’on coupe une forêt pour installer un champ d’éoliennes, le bénéfice est médiocre, voire nul : on capte moins de CO2 avec moins de forêt, même si par ailleurs on produit une énergie dite « renouvelable » au meilleur bilan carbone ; le compromis n’est pas adéquat.
Cet article a été réalisé dans le cadre de Néo Terra. Le festival des solutions, dont Le Monde est partenaire. Il se déroule du 28 au 30 novembre à Darwin (Bordeaux). Un débat est consacré vendredi 29 à 10 heures au thème « Biodiversité : réinventer la relation entre l’homme et le vivant ». Accès libre sur inscription : Festival.neo-terra.fr