Au tournant des années 2010, l’avènement de la voiture sans chauffeur faisait les gros titres. Le phénomène était imminent. « Une réalité », annonçait le New York Times en mai 2012. Les sociologues prédisaient la « fin du travail » tel que la civilisation occidentale le concevait depuis la révolution industrielle, à la suite de l’économiste Jeremy Rifkin dont le livre de 1995, La Fin du travail (La Découverte, 1997), explorait les conséquences de l’automatisation sur le marché de l’emploi.
Rien d’aussi spectaculaire n’a immédiatement suivi. Pendant deux décennies, la voiture sans chauffeur est restée au stade d’expérimentation, pour ne pas dire de mirage. Le taux de chômage n’a pas explosé, au contraire. Nous nous sommes habitués aux effets de manche des ploutocrates de la tech : coloniser Mars, occuper le métavers… Au risque de se retrouver blasés, et de négliger de prendre acte des révolutions, bien réelles, qui sont désormais parmi nous.
Aujourd’hui, les taxis autonomes circulent dans cinq villes américaines, sans anicroche ni accident (mais pas encore par tous les temps). A San Francisco, les Waymo (voiture sans conducteur) de Google sont devenues une attraction touristique au même titre que les cable cars de la fin du XIXe siècle. Et chaque trajet urbain conduit par un chauffeur fantôme suscite le même ébahissement : « wow », comme disent les Américains.
Quant à la « fin du travail » traditionnel, celle-ci n’est plus une vue de l’esprit, mais un phénomène en voie de banalisation du fait de la fulgurante accélération de l’intelligence artificielle (IA). Faut-il s’en plaindre ? Les « techies » sont en première ligne, cette fois, de la « disruption » causée par leurs propres inventions. Depuis trois ans, les charrettes se succèdent dans le secteur des technologies : 165 000 licenciements en 2022 ; 264 000 en 2023, un record ; 141 000 encore cette année, entre janvier et le 11 octobre, émanant de 468 entreprises.
Si on en croit LinkedIn, le nombre de candidats par offre d’emploi est passé de cinq à sept en deux ans. Pour les jeunes, l’informatique n’est plus une carrière aussi convoitée. Selon des données publiées en février par la Réserve fédérale, le taux de chômage des diplômés en informatique est de 4,3 % : supérieur à celui des diplômés en philosophie. Même les trentenaires sont gagnés par l’insécurité, et, selon une étude réalisée par LinkedIn, 73 % des jeunes de la génération Z (nés après 1997) se disent dépassés par l’accélération des changements dans leur univers de travail.
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