Elle est jeune. Le visage impassible, même si l’on décèle la naissance d’un sourire. Les joues rondes, mangées par sa longue chevelure brune et épaisse qui ondule jusqu’aux épaules. A la main, elle tient un marteau en verre. Elle a 34 ans.
C’est cette photo de Yoko Ono, prise par Clay Perry, photographe du Tout-Londres des années 1960, que la Tate Modern a choisie pour l’affiche de « Music of the Mind », la rétrospective consacrée à la plasticienne. Sa plus grande exposition jamais organisée au Royaume-Uni présente plus de deux cents œuvres (partitions, installations, films, musiques et photographies) jusqu’au 1er septembre.
La photo date de 1967. Yoko Ono est arrivée quelques mois plus tôt à Londres, alors capitale mondiale de la jeunesse, de la pop, de la mode, de l’amour libre, des nuits débridées mais aussi d’une création artistique plus souterraine, plus méconnue. C’est à ce dernier monde qu’elle appartient. Après quelques années passées à New York et à Tokyo, elle est une artiste prometteuse, dont les débuts ont fait des étincelles dans les cercles d’avant-garde.
Cet été 1966, elle est là à l’invitation de Gustav Metzger, admirateur de son travail. L’homme, figure centrale de l’underground britannique, est un artiste inquiet, tourmenté par la guerre, ses fantômes et par le risque d’un embrasement nucléaire mondial. Cet enfant de la Shoah – ses parents ont été déportés et assassinés dans les camps –, écologiste et militant antinucléaire convaincu, a proposé à Yoko Ono et à d’autres artistes (Al Hansen, Günter Brus, Otto Muehl… des noms qui ne disent plus grand-chose aux non-spécialistes de l’art contemporain) de participer à son symposium consacré à l’« art autodestructif » (Destruction in Art Symposium, 9-12 septembre 1966). Son parti pris est radical : produire des œuvres destinées à périr, à se désagréger, à disparaître. L’événement se tient à l’Africa Centre à Covent Garden.
« Cut Piece » épate
Pour l’occasion, Yoko Ono donne à voir, entre autres œuvres, Cut Piece. Elle l’a proposée pour la première fois deux ans plus tôt, en 1964, au Yamaichi Concert Hall de Kyoto. Le dispositif paraît simple, il est révolutionnaire pour l’époque, qui ne compte guère de femmes performeuses : l’artiste s’agenouille sur une scène dépouillée de tout objet, sauf d’une grande paire de ciseaux ; les spectateurs sont invités à la rejoindre, les uns après les autres, à se saisir des ciseaux et à découper ses vêtements. C’est Yoko Ono qui décide quand l’œuvre s’est achevée. Emotion, scandale : à Londres, comme à Kyoto, Cut Piece épate.
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