lundi, décembre 22

Un campus universitaire au cœur de la « diagonale du vide », pour diplômer des « gamins cabossés » par l’école ? À Felletin, bourg de 1.500 habitants dans la Creuse, un lycée dépeuplé mise sur les formations post-bac pour se relancer.

Salle de musculation, piste d’athlétisme, stade de foot, piscine intérieure, cinéma: la liste des installations de cet établissement spécialisé dans les métiers du bâtiment a des airs de campus américain…

Mais des toilettes à la turque ou des carrelages en terrazzo hérités des années 1950 et le nombre d’infrastructures fermées rappellent vite la réalité: ce gigantesque site, construit après-guerre sur 18 hectares pour former maçons et charpentiers, a vieilli au fur et à mesure que ce département du Massif central se vidait de ses habitants.

Bâti à l’origine pour accueillir 1.000 élèves, ce lycée polyvalent a été plusieurs fois menacé de fermeture, faute d’effectifs et de moyens suffisants, avant d’être secouru par la région Nouvelle-Aquitaine.

La collectivité vient de débourser 46 millions d’euros pour réhabiliter l’internat et rénover les ateliers techniques.

– « Repenser » pour « ne pas fermer » –

Pour Jean-Louis Nembrini, ancien recteur d’académie désormais vice-président du conseil régional, chargé de l’éducation, « la crise démographique commence à faire ses effets sur le territoire. Il faut que nous repensions nos lycées pour ne pas avoir à les fermer demain ».

Son objectif: transformer des lycées ruraux en « universités de proximité », dans un territoire où 70% des filières d’études supérieures sont proposées dans une poignée de villes « éloignées », chères ou saturées en logement – Bordeaux en tête.

À Felletin, « il n’y a pas un jour où l’on ne fait rien », assure Ahmad, étudiant lyonnais d’origine syrienne qui occupe ses week-ends à « randonner » à pied ou à vélo sur le plateau de Millevaches, avec « ses potes » scolarisés en BTS bâtiment, Ifra et Mathéo, originaires de Dakar et Montluçon.

L’établissement propose plusieurs BTS (bac+2) et licences pro (bac+3) – de la construction métallique à la modélisation 3D – à quelque 130 étudiants.

Tous logent dans la campagne environnante ou dans un Crous installé au centre de ce nouveau « campus en ruralité », aux côtés d’élèves de CAP et bac Pro, internes.

« On récupère beaucoup de gamins cabossés, au parcours scolaire compliqué ou issus de milieux sociaux défavorisés, sans ambition », analyse Bertrand Breysse, proviseur de l’établissement.

Mais « on les mélange (avec les étudiants, NDLR), on secoue bien fort et il se crée des miracles: des gamins qui donnaient la vie dure à leurs professeurs de collège se révèlent ici… et certains sortent diplômés du supérieur en quelques années », observe le formateur devant un chantier collectif.

Sous une pluie froide de décembre, une vingtaine d’apprentis et d’étudiants en architecture y érigent, ensemble, l’ossature bois d’un kiosque de jardin, ou cisaillent les tôles du futur toit.

– « Renaissance » –

Alors que « tous les récits d’avenir ont été métropolisés », les dirigeants du campus creusois misent sur « les atouts de la ruralité » pour « repenser la formation et les métiers de demain », espérant proposer, d’ici 2027, des masters (bac+5) d’ingénierie et d’architecture.

« Dans ces petits territoires en renaissance, tout est plus simple: tu tires sur une ficelle et tout le monde – associations, entreprises, élus – réagit aussitôt », s’enthousiasme Jean-Paul Laurent.

Ce maître de conférences à l’école nationale supérieure d’architecture de Montpellier envoie régulièrement ses étudiants en stage technique à Felletin, pour se former « manuellement » aux contacts de futurs artisans.

Dans le deuxième département le moins peuplé du pays (120.000 habitants), la mission est de « convaincre des jeunes de venir apprendre un métier sous tension, ici plutôt qu’à Biarritz », résume une ancienne salariée du site qui accueille 450 élèves et étudiants, deux fois moins qu’il y a 60 ans.

Pour le tenancier du Grand Café installé dans le village, ravi de voir des étudiants s’attabler le soir, succédant « aux papys, tous anciens du lycée du bâtiment », ce « pari » symbolise aussi la mentalité d’un territoire « isolé » mais « dynamique », prisé depuis peu par des néo-ruraux.

« Quand le premier feu rouge est à 45 km, que tout est loin, ça marche comme ça… Tu veux un restaurant, un concert, une formation ? Et bien lance-toi, on t’aidera. »

tsq/ppy/gf/alv

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