vendredi, mai 3
Le leader de l’opposition kényane, Raila Odinga, s’adresse à ses partisans à Nairobi, le 26 juillet 2023.

L’éternel vaincu va-t-il enfin remporter une élection ? Le 15 février, Raila Odinga, vétéran de la politique kényane, s’est porté candidat au poste de président de la Commission de l’Union africaine (UA). Cherchant parfois ses mots, l’homme de 79 ans, visiblement fatigué, a assuré devant les caméras de télévision « vouloir relever le défi » continental et succéder au Tchadien Moussa Faki Mahamat, en février 2025.

Depuis sa défaite lors du scrutin présidentiel de 2022 au Kenya – la cinquième de sa longue carrière –, celui qui est surnommé « Tinga » (« le tracteur ») en raison de sa longévité est cantonné au rôle de chef de file de l’opposition. L’accession à la tête de l’exécutif de l’institution panafricaine pourrait lui permettre de quitter la scène politique kényane par la grande porte en cas de victoire. Une initiative que son rival, le président William Ruto, soutient, non sans opportunisme.

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Les deux hommes se sont récemment rapprochés. Fin février, ils sont apparus côte à côte, bâtons à la main, dans la ferme du président ougandais Yoweri Museveni, à Kisozi, faisant face à un troupeau de vaches Ankole, sacrées en Afrique de l’Est. Les trois hommes devisaient de dossiers régionaux dans ce décor champêtre. L’occasion pour Yoweri Museveni d’apporter le soutien de l’Ouganda à Raila Odinga. Une initiative également soutenue par son homologue rwandais, Paul Kagame.

Ancien prisonnier politique

Si Raila Odinga fait figure de favori, c’est qu’il est pour l’heure le seul à s’être déclaré à la présidence de la Commission de l’UA. D’autres pourraient le rejoindre d’ici à fin mai, date butoir pour présenter les dossiers. Selon plusieurs diplomates de l’Union africaine, la Tanzanie, Madagascar, Djibouti, les Comores et la Somalie prévoient de présenter des candidats.

Jusqu’à la mi-mars, un doute persistait pour des raisons de procédure propres à l’Union africaine. Mais une réunion des ministres des affaires étrangères africains, vendredi 15 mars, a entériné le principe de rotation par ordre alphabétique (en anglais), qui donne la priorité à la région est-africaine pour le poste de président de la Commission de l’UA, et à l’Afrique du nord pour le poste de vice-président. Lors de l’élection en février 2025, les candidats seront ensuite élus lors d’un vote à la majorité des deux tiers.

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La voie semble désormais libre pour l’ancien prisonnier politique, torturé à maintes reprises dans les années 1980, qui tient peut-être, enfin, son lot de consolation. Il faudra toutefois convaincre les cinquante-quatre autres Etats membres du bien-fondé de sa présidence alors que sa santé décline et qu’il sera octogénaire au moment de l’élection. Un parlementaire kényan assure, en privé, ne pas se faire de soucis, « car Baba est encore extrêmement vif ». « Il paraissait usé lors de la campagne présidentielle parce que le rythme y est soutenu mais, à la direction de l’UA, le tempo sera plus facile pour lui », veut croire Nic Cheeseman, professeur de sciences politiques à l’université de Birmingham au Royaume-Uni.

Une revanche pour le Kenya ?

Il s’agirait aussi d’une revanche pour le Kenya. Favori des élections de 2017, Nairobi avait célébré trop tôt la victoire de sa candidate Amina Mohamed, finalement battue sur le fil par Moussa Faki Mahamat. « Cette fois, il ne faudra pas commettre les mêmes erreurs, le Kenya doit faire du lobbying sur tout le continent », souligne Liesl Louw-Vaudran, chercheuse spécialiste de l’UA pour l’International Crisis Group (ICG). Raila Odinga semble déjà s’y atteler : lors de son annonce en février, il était épaulé par un autre monstre de la politique africaine, l’ancien leader nigérian Olusegun Obasanjo, 87 ans, qui lui a promis son soutien.

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Impossible, toutefois, de ne pas voir dans la candidature de Raila Odinga des raisons « d’abord liées aux dynamiques politiques kényanes », observe Nic Cheeseman. En 2023, il avait, des semaines durant, paralysé le pays en appelant ses partisans à se rassembler contre la vie chère et les résultats des élections. En cas de victoire à l’UA, « il ne pourra plus intervenir comme leader d’opposition, ne pourra plus appeler aux manifestations et se devra d’entretenir des relations cordiales avec William Ruto », souligne le chercheur.

En 2018, Rail Odinga s’était déjà vu offrir le poste de haut représentant de l’Union africaine pour le développement des infrastructures, pour l’éloigner après la grave crise post-électorale qui l’opposait au chef d’Etat de l’époque, Uhuru Kenyatta. Une position purement symbolique qu’il a occupée pendant cinq années, et dont aucun membre de l’UA ne garde visiblement de souvenir. « Ce poste m’a permis d’apprendre à propos de chacun des pays d’Afrique », a fait valoir le principal intéressé dans son discours du 15 février. Sans trop convaincre.

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