jeudi, novembre 14

Deux ans après, voici un nouveau rapport du sénat sur les déserts médicaux. « Le constat largement partagé d’une situation devenue inacceptable et en voie de dégradation est malheureusement toujours d’actualité », justifie Bruno Rojouan, déjà rapporteur du rapport d’information de mars 2022. Le sénateur Les Républicains de l’Allier a donné un « droit de suite » à son premier travail. Il a passé au crible les évolutions depuis deux ans et propose plusieurs dizaines de recommandations pour actualiser les précédentes propositions. Elles ont été adoptées par la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable du Palais du Luxembourg ce mercredi 13 novembre.

2 500 médecins en moins depuis deux ans

« Nous entrons progressivement dans la ‘décennie noire médicale’ décrite dès 2022 », prévient Bruno Rojouan lors d’une conférence de presse pour présenter son travail. Depuis deux ans, la France a perdu 2 500 médecins généralistes, portant leur nombre total à moins de 100 000. « C’est très inquiétant et nous savons que ça va continuer jusqu’en 2028 », souligne-t-il. Une hausse de 35 % est tout de même attendue en 2050 par rapport à 2020.

« Le rapport de 2022 a quand même percuté les esprits », se rassure l’élu LR. Pour preuve, plusieurs mesures ont été prises depuis. Notamment deux projets de loi de finances de la sécurité sociale. La loi Rist 2 qui introduit un accès direct – sans passer par le médecin – aux infirmiers en pratique avancée, aux kinésithérapeutes et aux orthophonistes. Ou encore la loi Valletoux qui encourage l’installation pérenne des soignants sur le territoire. « Des mesures timides alors qu’une thérapie de choc est nécessaire », tempère Bruno Rojouan.

Plusieurs mesures depuis 2022

Aujourd’hui, la majorité des professions de santé bénéficient d’incitations financières pour s’installer dans les déserts médicaux. « Mais les effets sont minimes et peinent à être efficaces », souligne le sénateur. Il fait aussi remarquer que « les médecins sont maintenant la seule profession médicale à bénéficier d’un cadre purement incitatif pour équilibrer leur répartition sur le territoire » et que « la remise en cause de leur liberté totale d’installation fait encore figure de tabou ».

D’autres améliorations ont été effectuées depuis plusieurs années. Comme des « médicobus » pour aller vers les populations isolées. La télémédecine a aussi été présentée comme une solution fondamentale pour aider les territoires. « Malheureusement, elle a raté sa cible », peste le parlementaire LR. Les patients qui en ont le plus recours résident dans les grandes villes. Le gouvernement a également lancé le dispositif des services d’accès aux soins (SAS). Il met en relation les patients qui appellent le 15, plutôt que les urgences par manque de médecins généralistes, avec un médecin régulateur. Ensuite, ce dernier doit leur trouver un rendez-vous médical dans les 48 heures.

Du coté des étudiants en santé, Bruno Rojouan estime que « le choc d’offre n’a pas eu lieu ». Après le renoncement du numerus clausus en 2020, les effectifs en deuxième année de médecine ont bien progressé de 17 %. Cependant, la quasi-totalité de la hausse a eu lieu avant 2022. « La dynamique actuelle est donc insuffisante pour répondre aux besoins futurs de soignants », souffle le sénateur. Il pointe aussi la « hausse du nombre d’abandons des infirmiers en études ». En 2022, le nombre de diplômés infirmiers a diminué de 1 % par rapport à 2021. Pourtant, en 2019, le nombre d’inscrits avait augmenté de 6 %. L’élu peste aussi contre une insuffisante « territorialisation des études de santé ». Pour lui, « la formation des médecins est encore trop organisée autour des centres hospitalo-universitaires des métropoles ».

Favoriser l’installation des médecins dans les déserts médicaux

Une fois ces analyses faites, Bruno Rojouan propose des « mesures d’urgences ». Pour lui, « réguler l’installation des médecins dans les zones les mieux dotées et favoriser leur exercice dans les zones les moins dotées sont deux leviers à actionner ». Ainsi, « toute nouvelle installation dans les zones les mieux dotées pourrait être conditionnée à un exercice partiel dans une zone sous dotée ».

Pour le membre de la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable, la définition de ces modalités pratiques « pourrait être confiée à la profession elle-même ». Si ça ne fonctionne pas, il propose au législateur de s’y substituer, à l’image du modèle allemand. Outre-Rhin, les médecins ne peuvent obtenir un agrément de l’assurance maladie publique seulement s’ils s’installent dans une zone où le nombre de professionnels de santé est insuffisant.

Une fois que le nombre de médecins augmentera avec la fin du numerus clausus, le parlementaire souhaite un cadre de régulation « plus ambitieux ». Il propose qu’il soit appuyé sur « le conventionnement sélectif par l’Assurance maladie » pour garantir « la répartition équilibrée des médecins sur le territoire ».

« Redonner du temps médical aux patients »

Pour Bruno Rojouan, « redonner du temps médical aux patients » fait partie des priorités. Il souhaite notamment assouplir les conditions de l’octroi des aides aux recrutements des assistants médicaux. Notamment pour les maisons de santé pluriprofessionnelles. « L’assistant médical apporte un gain de temps précieux au bénéfice du temps avec le patient », signale le sénateur. Le médecin peut ainsi déléguer la partie administrative et bureaucratique de son travail.

L’élu signale également que « les compétences des sages-femmes pourraient davantage être mises au service de l’offre de soins en reconnaissait et valorisant cette profession ». Il souhaite notamment une réflexion sur la possibilité qu’elles obtiennent le statut de « praticien hospitalier ». Ce qui leur permettrait de faciliter l’exercice mixte hospitalier-libéral.

Ensuite, le sénateur de l’Allier demande de « s’appuyer avec plus de vigueur sur les compétences de chaque profession médicale ». Par exemple, il préconise une loi sur les infirmiers en pratique avancée pour leur donner plus de compétences. « La limitation actuelle du champ des possibles en matière de prescription médicamenteuse paraît obsolète et décorrélée des compétences réelles des infirmiers spécialisés », indique-t-il. Dans le même format, il souhaite une loi sur les pharmaciens pour leur octroyer un nouveau rôle dans le parcours de soins.

Recruter plus d’étudiants et plus d’enseignants

Enfin, le sénateur propose de mener un « choc de massification et de territorialisation des études de santé ». Il résume : « Les capacités des facultés de médecine sont saturées, les locaux surchargés et les formateurs en nombre insuffisant ». Bruno Rojouan demande donc la possibilité pour les facultés de recruter plus d’étudiants et d’enseignants et que des écoles soient ouvertes dans les déserts médicaux. Pour lutter contre le manque d’attractivité de certaines filières, il demande aussi la création d’une voie directe post-bac pour les études de pharmacie.

Il recommande aussi que les étudiants issus des déserts médicaux soient favorisés dans le processus de sélection pour rentrer en première année. « Cette mesure pourrait prendre la forme de quotas comme les boursiers », souligne Bruno Rojouan. Puis il préconise l’adaptation des stages des étudiants, pour qu’ils soient effectués dans les zones sous dotées.

La commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable annonce qu’elle fera « un point tous les deux ans sur les déserts médicaux dans un rapport d’actualité ». A plus courte échéance, l’objectif de Bruno Rojouan est le dépôt d’une proposition de loi sur le sujet en première partie d’année prochaine. Une proposition de loi transpartisane a également été présentée à l’Assemblée nationale ce mercredi 13 novembre, déjà soutenue par plus de 240 députés.

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