Sur le pont des Arts, un Américain de 23 ans, incarnation du « clochard céleste », croise le regard d’une femme plus jeune encore, fille d’un grand écrivain français. La scène pourrait avoir été filmée par Leos Carax, mais la Seine peut témoigner qu’elle ne relève pas de la fiction. Lui est l’auteur d’un premier roman refusé par 70 maisons d’édition américaines. Elle se prénomme Marie et confie à son père, Patrick Modiano, le manuscrit du Seigneur des porcheries, que Gallimard publie en 1998. Le succès est immédiat et son auteur, comparé à Steinbeck et Faulkner. Mais à 33 ans, Tristan Egolf se suicide d’une balle dans la bouche, dans sa ville natale de Pennsylvanie, laissant dans son sillage trois ouvrages, dont un roman culte.
Un livre peut-il tuer son créateur ? s’interroge Zachary Crane, journaliste au New Yorker, en pistant le fantôme de l’écrivain météore dans les rues de Paris. Roman monstre, baroque, excessif, Le Seigneur des porcheries devient un « objet de fixation » pour Crane, et de fascination pour le lecteur entraîné dans un jeu de piste littéraire savamment orchestré. Parti en quête de ceux qui avaient connu et aimé cet « être rare, solaire » qu’était Egolf, « dont la joie et la bonté n’avaient eu d’égales que la noirceur et la violence », Adrien Bosc révèle le tragique et le sublime d’une existence brûlée par les deux bouts.
L’Invention de Tristan, d’Adrien Bosc (Stock, 256 p., 20,50 €).