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En 1957, il y a belle lurette que le petit gars de 4 ans, né dans un faubourg de Constantinople de parents grecs négociants en tapis, a quitté le pays natal et foulé pour la première fois le sol des Etats-Unis. Belle lurette que ce petit gars qui répondait alors au nom d’Elia Kazanjoglous est devenu Elia Kazan (1909-2003), le plus américain des cinéastes. L’un des grands du septième art, grâce à une douzaine de longs-métrages déjà tournés, parmi lesquels quelques chefs-d’œuvre. Entre autres, Un tramway nommé Désir (1951), Viva Zapata ! (1952), Sur les quais (1954), A l’est d’Eden (1955). Des films qui, au passage, ont révélé deux acteurs, et non des moindres, Marlon Brando (1924-2004) et James Dean (1931-1955).
Rien à l’époque n’arrête Kazan. Pas même ce qui entache sa biographie depuis sa déposition, en avril 1952, devant la Commission des activités antiaméricaines, en pleine période maccarthyste. Cet acte décisif qui, de façon indélébile, marquera le cinéaste, sa postérité et son œuvre, n’entame en rien sa force créatrice (il tourne un film par an) ni son acuité d’observateur de l’Amérique.
En témoigne son long-métrage Un homme dans la foule (A Face in the Crowd), sorti en 1957, film proprement visionnaire, redoutablement féroce, qui renvoie à chacun l’image peu glorieuse d’un mouton de Panurge disposé à croire n’importe quel discours populiste. Qui plus est quand celui-ci émane d’un homme du peuple (qui rend l’identification facile) dont l’ascension fulgurante, pur produit du rêve américain, met à portée de tous la réussite.
Ivresse du pouvoir
En 1957, néanmoins, l’Amérique n’est sans doute pas encore prête à regarder cette réalité en face. Du moins, pas à travers le regard implacable de Kazan qui, pour la seconde fois après Sur les quais, a fait appel pour le scénario au romancier Budd Schulberg (1914-2009). Le cinéaste n’est pas dupe qui, dans les années 1970, à propos de l’échec de son film, répondait ainsi au critique Michel Ciment l’interrogeant pour son ouvrage d’entretiens Kazan par Kazan, paru aux éditions Stock (1973). « Nous nous sommes dit [avec Schulberg] : ils ne veulent pas que nous critiquions l’Amérique (…). Ils pensent que nous essayons de la détruire, et ce fut le sujet de certaines attaques (…). Je suis capable de faire beaucoup de réserves sur le scénario (…). Mais ce que j’aime dans ce film, c’est son énergie, son invention et son audace, qui sont très américaines (…). De bien des façons, il est plus américain que n’importe lequel de mes autres films. Il montre le monde des affaires, la vie urbaine, le fonctionnement de la télévision, le rythme auquel ce pays se transforme. Quant à son thème, il est aujourd’hui encore tout à fait d’actualité. Et, finalement, je crois qu’il était en avance sur son temps. »
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