C’est l’histoire d’une Américaine de 53 ans adressée dans un hôpital en consultation uro-gynécologique. Elle souffre d’une incontinence urinaire rebelle et présente du sang dans les urines (hématurie).
Ce cas clinique, publié le 1er juillet 2024 dans la revue Obstetrics & Gynecology, est exemplaire dans la mesure où il souligne l’importance d’une démarche diagnostique minutieuse chez les patientes présentant des symptômes persistants de fistule vésico-vaginale (FVV) malgré un bilan diagnostique initial négatif. Une fistule vésico-vaginale est définie comme une communication anormale entre la vessie et le vagin, entrainant une fuite permanente d’urine par le vagin. La fistule vésico-vaginale a de sérieuses conséquences sur les plans physique et social.
Dans les pays en développement, les FVV sont avant tout obstétricales, secondaires à une lésion résultant d’un accouchement difficile (dystocique) et d’un recours limité à la césarienne. En Afrique sub-saharienne, les fistules urogénitales d’origine obstétricale sont ainsi très fréquentes et sont le reflet d’un système sanitaire défaillant. Dans les pays industrialisés, elles sont plutôt une complication d’une chirurgie pelvienne (75 % des cas), en particulier après ablation de l’utérus par voie abdominale.
Les autres causes de FVV sont notamment un cancer du col utérin, du vagin ou de l’utérus, un antécédent de radiothérapie pelvienne, une infection pelvienne persistante. Une FVV peut également se produire en cas de présence d’un corps étranger intra-vaginal, comme une compresse chirurgicale oubliée ou un pessaire, dispositif introduit dans le vagin pour assurer un rôle mécanique de soutien de l’utérus et des organes pelviens qui l’entourent lorsque ceux-ci se déplacent vers le bas (prolapsus génital ou « descente » d’organes).
Revenons à cette patiente quinquagénaire qui n’a jamais été enceinte et n’a jamais subi d’intervention chirurgicale pelvienne. Cela fait deux mois qu’elle présente une incontinence urinaire, occasionnellement accompagnée d’une hématurie. Les pertes d’urine par le vagin sont abondantes et surviennent sans signes d’alarme. En effet, la patiente ne ressent pas de besoin impérieux d’uriner, ni d’augmentation brutale de la pression intra-abdominale.
Deux à trois fois par mois, elle présente de légers saignements vaginaux, ou semble-t-il une hématurie. Elle attribue ces symptômes à la ménopause.
Elle n’a pas de difficulté à uriner (dysurie), de douleur pelvienne, d’écoulement vaginal anormal, de douleurs pendant et après les rapports sexuels (dyspareunie). Cette femme, qui souffre par ailleurs de polyarthrite rhumatoïde, est traitée par deux médicaments qui ont pour effet secondaire possible de provoquer une hématurie.
Avant de consulter à l’hôpital, cette patiente a subi de nombreux examens médicaux et examens diagnostiques. On lui a tout d’abord diagnostiqué une infection urinaire malgré un test diagnostique négatif. Elle a été traitée par antibiotiques, ce qui n’a pas amélioré ses symptômes.
Cette femme a ensuite consulté un urologue qui lui a conseillé de participer à des séances de rééducation du plancher pelvien et lui a prescrit de l’oxybutynine pour lutter contre les contractions musculaires anormales de la vessie. Ce médicament antispasmodique est utilisé dans le traitement des envies impérieuses d’uriner ou des fuites urinaires dues à une instabilité vésicale. Par ailleurs, ce spécialiste lui demande de passer un uroscanner, examen permettant de visualiser les voies urinaires, dont la vessie. Une cystoscopie, examen destiné à observer l’intérieur de la vessie et de l’urètre, est également prescrite. L’uroscanner ne montre aucune anomalie urologique et la cystoscopie met en évidence des signes évocateurs d’une banale cystite.
La patiente interrompt son traitement par oxybutynine car elle n’éprouve pas de soulagement. Elle est cependant encouragée à le reprendre afin de laisser plus de temps pour que ce traitement exerce son action.
Errance diagnostique
La patiente consulte cette fois un gynécologue qui lui prescrit une échographie transvaginale, qui consiste à consiste à insérer une sonde dans le vagin pour visualiser des structures et organes du bassin, dont le vagin, l’utérus, les ovaires, les trompes de Fallope, la vessie. Là encore, cet examen ne montre rien de particulier. Ce spécialiste prescrit alors un scanner pelvien avec injection préalable de produit de contraste pour visualiser la vessie. Cet examen révèle une fistule vésico-vaginale (FVV) au niveau de la paroi postérieure de la vessie.
Afin d’identifier la cause de cette FVV, une biopsie vaginale est réalisée dans une zone possiblement suspecte du vagin. Cet examen ne retrouve pas de cellules anormales (absence de dysplasie). Il montre en revanche un tissu de granulation qui indique la présence d’une inflammation aiguë.
La patiente est alors adressée en consultation uro-gynécologique au Medical College du Wisconsin à Milwaukee. Elle y subit une cystoscopie pour examiner l’intérieur de sa vessie, qui révèle la présence d’une fistule mesurant moins de 1 cm. Elle passe ensuite une vaginoscopie afin d’examiner les parois du vagin. L’orifice de la fistule est visible à l’extrémité supérieure droite du vagin qui est insérée sur le col utérin (fornix vaginal). Le gynécologue remarque alors la présence d’un corps étranger de nature fibreuse enchâssé dans la paroi vaginale.
Des tentatives ont été faites pour retirer du fornix vaginal ce corps étranger au cabinet médical, mais la procédure doit être interrompue en raison d’un saignement et de l’inconfort de la patiente.
C’est à ce moment qu’elle déclare au médecin que, « des années plus tôt, elle avait eu l’impression qu’une partie du tampon hygiénique s’était rompue lors de son retrait ». L’examen au spéculum effectué par un gynécologue à l’époque n’avait pas révélé de fragment du tampon. Ce n’est que récemment, depuis qu’elle se plaint d’incontinence urinaire, qu’elle a présenté des pertes vaginales.
Une fois le diagnostic de fistule vésico-vaginale établi et sa cause identifiée, la patiente a subi une vaginoscopie avec anesthésie pour qu’on lui retire le fragment de tampon et que l’on répare chirurgicalement la FVV. Lors de l’intervention, le chirurgien a observé la présence de fibres incrustées dans le vagin dans le fornix latéral droit.
Toutes les fibres enchâssées au fond du vagin ont été extraites à l’aide de pinces crocodiles. La fistule vésico-vaginale a, elle, été suturée lors d’une intervention chirurgicale. La patiente a quitté l’hôpital le jour même et n’a pas eu de complications post-opératoires.
« L’examen des débris au microscope a confirmé la présence d’un matériau ressemblant à des fibres organiques. Enfin, le pathologiste a déclaré que cela correspondait à la rétention de fibres d’un tampon », concluent les gynécologues qui rapportent ce cas clinique hors norme.
Il est à noter que le retard de diagnostic est notamment dû au fait que cette patiente ne présentait pas une incontinence urinaire de façon continue, mais par intermittence. En effet, l’incontinence urinaire liée aux fistules vésico-vaginales est classiquement permanente. Cette patiente n’a pas non plus souffert de brûlures vulvaires dues à l’irritation par les urines et n’a pas présenté d’écoulement malodorant, d’infections urinaires récidivantes ou de douleurs pelviennes. Enfin, elle n’avait jamais eu d’intervention chirurgicale pelvienne, cause la plus fréquente de FVV aux États-Unis.
Neuf semaines après la cure de la FVV, la patiente a subi une nouvelle cystoscopie qui a montré la fermeture complète de la fistule. Une vaginoscopie a également été réalisée, qui a confirmé la cicatrisation vaginale et l’absence de tout corps étranger. Il a alors enfin été possible d’affirmer que « la patiente a connu une résolution complète des symptômes de sa fistule vésico-vaginale et de son incontinence urinaire », concluent Vienne Seitz et Emily Davidson.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, BlueSky, et sur mon autre blog ‘Le diabète dans tous ses états‘, consacré aux mille et une facettes du diabète – déjà 69 billets).
Pour en savoir plus :
Seitz V, Davidson ERW. Retained Tampon Fragment as an Unusual Cause of Vesicovaginal Fistula. Obstet Gynecol. 2024 Jul 1;144(1):e1-e3. doi: 10.1097/AOG.0000000000005608