vendredi, mai 3

Nous avons connu ces derniers jours un effondrement brutal de nos assises dans la capitale haïtienne : l’incendie de l’ensemble des commissariats de Port-au-Prince et de sa banlieue, le saccage, le pillage et l’incendie de marchés, d’hôpitaux, de tribunaux, de commerces, d’installations portuaires, de banques et l’évasion spectaculaire de prisonniers des deux principaux centres pénitentiaires, etc. Une opération de terreur menée par des hommes lourdement armés au nom d’une révolution dont la finalité paradoxale serait un projet pour le « vivre-ensemble ».

Au moment où j’entame cet article, une nouvelle ronde de négociations sous l’égide de la Communauté des Caraïbes et la vigilance inquiète des Etats-Unis est lancée entre certains acteurs politiques afin de trouver un cran d’arrêt à cette chute dans l’abîme.

Un constat mérite d’être dressé d’entrée de jeu. C’est bien l’incapacité de ces mêmes acteurs politiques (pouvoir en place, oppositions haïtiennes et communauté internationale) à dénouer, depuis juillet 2021, la crise par un accord négocié, qui a laissé le temps et l’espace à la mafia transnationale de la région, et à leurs alliés locaux du secteur des affaires et du secteur politique, de transformer ces assaillants en une « armée de libération nationale » autoproclamée.

Certains rappels de l’histoire récente se révèlent indispensables. Ce sont bien les élections de l’année 2010 qui ont ouvert ce nouveau cycle d’instabilité, de déroute économique, de désastre social et de violence. Les Etats-Unis ont en effet imposé comme vainqueur de ces élections le candidat arrivé en troisième position [Michel Martelly]. Le Canada et la France très vite ont entériné cette forfaiture. Durant les deux mandats de cette force politique, Haïti a vu la dilapidation par des nationaux et des non-nationaux du fonds PetroCaribe octroyé par Hugo Chavez [ancien président du Venezuela, mort en 2013] après le séisme de 2010, la dépréciation de sa monnaie, la vassalisation des institutions, la dégradation de son économie et le renforcement de sa position géographique comme point de passage-clé des trafics de la zone latino-américaine et caribéenne.

Cette descente aux enfers a conduit à une forte hausse de la migration clandestine vers les pays voisins et à une accélération de l’exode vers les grandes villes, et particulièrement vers Port-au-Prince. L’urbanisation s’est faite sans aucune structure d’accueil pour cette population jeune qui ne se reconnaît pas vraiment dans les codes de la ville, qui a perdu les solides références du monde rural et se nourrit des impulsions à consommer des réseaux sociaux et des stimulants imaginaires violents des jeux vidéo. Les déportés, anciens prisonniers aux Etats-Unis, renvoyés en nombre en Haïti, ont apporté un supplément de culture violente apprise au contact des gangs dans les prisons américaines. Cette jeunesse livrée à elle-même a fini par forger, à partir de ces ingrédients, une sous-culture propre.

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