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Le soir, quand elle a passé une sale journée, Mathilde crie sur Marc (prénoms changés). « Je lui reproche de devoir faire trois heures de trajet par jour pour être avec lui, alors que mon boulot est loin ; ou bien je lui dis que tout ce qui l’intéresse, c’est que je ressemble à sa mère. » Elle s’emporte, le ton monte. Marc ne répond pas : cela fait neuf ans qu’il est parti. Il n’est plus là, mais elle continue de s’adresser à lui, seule dans son appartement parisien. « On s’est beaucoup engueulés. J’ai gardé l’habitude », commente-t-elle. Pourquoi crie-t-elle sur un fantôme ? « Je n’ai jamais eu ce degré d’intimité avec personne d’autre, et cela me manque », dit l’informaticienne de 41 ans, qui a connu Marc quand elle avait 17 ans. « Me disputer avec lui, c’est, d’une certaine façon, être avec lui. »
Combien sommes-nous, comme Mathilde, à dialoguer en silence avec nos amours passés ? A convoquer des fantômes, dans une salle de bains, au coin d’une rue, dans le secret de nos pensées nocturnes ? En France, en moyenne, 425 000 couples se séparent chaque année. Cela en fait, des ex. Certains nous hantent une vie entière. D’autres reviennent sans qu’on ne s’y attende, comme des apparitions. Marco était le premier amour d’Emma (prénoms changés). Ils se sont rencontrés à la fête des 18 ans d’Emma chez des copains, près de Marseille. Cela s’est passé comme dans un film à l’eau de rose.
Marco avait 18 ans, une mère italienne, une chemise blanche entrouverte et une médaille en or autour du cou. Il a invité Emma à danser lorsque les premières notes de La Solitudine, de Laura Pausini, ont retenti. Dans le creux de son cou, il a susurré les paroles en italien. Elle a senti son odeur, sa peau légèrement transpirante. Est-ce lorsque la chanteuse d’Emilie-Romagne a entamé le refrain ? Lorsqu’elle a poussé sa voix mélancolique plus fort, à la fin du morceau ? « Je suis tombée amoureuse », raconte Emma de son accent chantant du Sud-Est, ses boucles brunes tombant sur son pull beige. Marco et Emma se sont aimés passionnément pendant trois ans. A cette époque, où les téléphones portables commençaient à se répandre, il lui a expliqué qu’en Italie, les jeunes amoureux avaient une coutume : dès que l’un pensait à l’autre, il l’appelait, faisait sonner brièvement, juste un coup, puis raccrochait, et cet appel en absence disait : « Je suis là. »
Trésor en poussière
Comme tant d’amours de jeunesse, leur histoire n’a pas résisté à la vie qui démarre. Emma est partie faire des études d’ingénieure. Entourée de garçons, elle a tenu un moment à distance avec Marco, puis l’a quitté, en 2005. Mais elle l’aimait encore. « Toutes les nuits, pendant deux ans, j’ai rêvé de lui. Toutes les nuits. » Quand elle a rencontré un autre garçon, elle a résolu de l’épouser. C’était comme une fidélité supplémentaire à Marco : « Je me suis dit, je n’ai pas quitté Marco pour faire n’importe quoi. Je vais me marier. » C’était en 2010, et les échanges avec son ex ont cessé – trop douloureux.
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