Le vaste bâtiment bleu azur est accessible par une rue étroite, à l’écart du centre-ville de Belem. A la différence de tant d’autres édifices historiques de la capitale de l’Etat du Pará, à l’embouchure de l’Amazone, celui-ci n’a guère subi les effets ravageurs du temps et de l’extrême humidité. Tout l’inverse : parfaitement entretenue, la synagogue Sha’ar Hashamayim paraît avoir été inaugurée la veille.
Des juifs en Amazonie ? Aussi ancienne que méconnue, la communauté a vu sa tranquillité troublée depuis le début de la guerre à Gaza entre Israël et le Hamas, le 7 octobre. Inaugurée en 1826 ou en 1828 (la date fait débat), la Sha’ar Hashamayim est d’ailleurs considérée comme la toute première synagogue édifiée au Brésil après l’indépendance, en 1822. Avec sa coupole, ses piliers nacrés et ses lampes à huile argentées, le lieu de culte bientôt bicentenaire conserve de petits airs orientaux.
« Son architecture est typiquement séfarado-mauresque ! », tient à préciser Samuel Gabbay, 44 ans, son chaleureux directeur. L’Amazonie est malgré tout présente dans les chaises et le plancher, tous façonnés dans du bois tropical jatobá. Les vitraux aux tons vert et jaune évoquent quant à eux les couleurs de la grande forêt… « On reçoit régulièrement des touristes européens ou israéliens, très curieux de notre synagogue ! », raconte Samuel Gabbay.
Une opportunité économique
Et pourtant, les juifs ne sont qu’une goutte d’eau dans cet océan vert de jungle. Ils seraient au plus cinq mille sur les dix-sept millions d’habitants de l’Amazonie brésilienne (soit à peine 0,02 % de la population), pour l’essentiel regroupés dans les métropoles de Belém et de Manaus. A la différence des cent vingt mille autres juifs du Brésil, en majorité ashkénazes, ces derniers sont séfarades et originaires du Maroc dans leur quasi-intégralité.
Leur arrivée dans la colonie portugaise date officiellement de 1810. « Trois ans plus tôt, Napoléon envahit le Portugal et la famille royale portugaise Bragance fuit à Rio sous la protection des Anglais. En échange, les Anglais obtiennent le droit pour les étrangers de commercer librement dans la colonie », raconte Anne Benchimol, historienne juive née à Manaus et mémoire de la communauté. « Les juifs marocains y voient une opportunité économique. Certains partent pour l’Amazonie », détaille la chercheuse.
La migration s’amplifie à partir de 1850 et du fameux « boom du caoutchouc ». Polyglottes et bien formés, les juifs de Fès ou de Tanger servent alors d’intermédiaires entre les producteurs locaux et les commerçants européens. Ils participent à l’essor de Belem et de Manaus, fondent synagogues, écoles et journaux. Certains membres entrent en politique, à l’image d’Eliezer Levy, qui devient maire de Macapá, la grande ville de l’estuaire de l’Amazone, durant la décennie 1930.
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