Les castors ne la quittent plus. Durant l’été 2023, elle les avait emmenés en Limousin sur l’île de Vassivière dans le cadre de la saison « Diplomaties terrestres », durant l’hiver à l’Artothèque de Caen, avec l’exposition « Castor, l’amant de la rivière ». Aujourd’hui, Suzanne Husky déploie leurs atouts méconnus en tant qu’alliés environnementaux, à Paris, dans « Le Temps profond des rivières », au Drawing Lab, un espace consacré au dessin contemporain et relié à la foire Drawing Now, dont elle était la lauréate en 2023.
La question de l’environnement a toujours été au centre des préoccupations de la Franco-Américaine, qui vit entre le Sud-Ouest et San Francisco. Formée aux Beaux-Arts de Bordeaux, l’artiste était devenue paysagiste horticole, avant de reprendre des études d’agroécologie en 2018. Depuis quelques années, elle a fait du grand rongeur le personnage central de ses recherches, sous un angle ouvertement militant. Et c’est précisément cette ligne de crête, entre art et engagement, qui fait la singularité de son travail.
C’est au détour d’une série de podcasts réalisés pendant l’épidémie de Covid-19 sur les mythologies dans l’agroécologie qu’elle tombe sur la figure du castor dans l’imaginaire amérindien : « Il est partout, créateur de mondes, créateur de lacs, d’îles, il transforme, il se dispute avec l’esprit créateur, il a vraiment une très grande agentivité », précise-t-elle. Elle recherche ce qu’il en est en Europe et s’aperçoit qu’on le retrouve dans les hydronymes : « On a, en France, des centaines de cours d’eau qui portent des noms dérivés du mot castor, bebros en bas latin : Bibracte, Biber, le mont Beuvray, la Bièvre… » En matière d’individus, une quarantaine seulement avaient survécu, en Camargue, à l’impitoyable traite de la fourrure. Aujourd’hui, après des réintroductions, ils sont 15 000 ; « ce qui reste très peu », souligne-t-elle.
Contrer les mégafeux
A partir de cette rencontre, la figure du castor prend le pas sur le reste. Elle constate que, en Californie, où elle vit, les gens se mettent à imiter les castors pour contrer les mégafeux : « Avec les sécheresses qu’on a créées en drainant tout et avec le réchauffement climatique, les hydrologues eux-mêmes se rendent compte que la meilleure manière de réagir, la plus rapide et la moins chère, c’est de faire des ouvrages castor-mimétiques. Et une fois que le castor revient, lui, il le fait dix fois mieux que nous, parce qu’il a 8 millions d’années d’expérience », explique l’artiste.
Si elle revendique le terme « propagande » dans sa démarche, son travail artistique passe-t-il pour autant au second plan, derrière son engagement à la cause des castors ? En matière de hiérarchie de ses préoccupations, peut-être, mais il n’en reste pas moins rafraîchissant, original et émouvant, au croisement des sciences de la terre, de la documentation, de l’humour et de la poésie. Entourée de spécialistes, elle pratique ainsi un art tactique, qui vient chercher une prise de conscience des visiteurs et sert de support lors de conférences et de rencontres avec les professionnels de terrain pour les amener à envisager un repeuplement salutaire de ces bâtisseurs-nés pour lutter contre l’assèchement des sols.
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