L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
On sait à quel point, en matière de film dans le film, trouver le bon montage est la grande affaire. Dans le cas présent, Pierre Godeau joue habilement sur une trame en miroirs, qui renvoie un acteur de cinéma au personnage qu’il interprète.
Son quatrième long-métrage, Sous le vent des Marquises, s’ouvre sur le tournage d’un biopic qui retrace les dernières années de Jacques Brel : plus exactement, ses adieux avant qu’il ne parte avec sa fille faire un tour du monde en voilier, finalement interrompu par « une grippe qui ne se soigne pas », disait-il, qui l’incita à s’installer dans un archipel perdu au milieu des mers du Sud.
Dans le rôle du Jacky vieillissant, Alain (François Damiens), vedette au « plat pays »… Seulement, ce dernier, pris de panique, n’arrive plus à simuler et quitte le tournage au volant de la DS du chanteur, emportant la fiction dans la réalité et son dentier XXL dans la boîte à gants. Souffrant lui-même d’un cancer qu’il faut opérer rapidement, il décide de renouer avec sa fille, qu’il a souvent délaissée à la faveur d’une vie au débotté entre films et maîtresses.
Mais Lou (Salomé Dewaels) vit avec sa mère sur une île dans le golfe du Morbihan où elle se passionne pour l’élevage des huîtres… S’ensuit bon an mal an un road trip filial en « déesse », de Vannes au CHU de Bruxelles, où il faut s’apprivoiser, rattraper les silences et convaincre le malade d’aller se faire soigner.
Chassé-croisé familial
Ce beau film, émouvant, a la politesse de ne pas jouer sur la névrose de l’acteur hanté jusqu’aux os par son rôle. Les mots de Brel aident le duo à communiquer, agrandissent son histoire et inspirent de nouveaux liens, tout en rappelant les vertus de la fiction dès lors qu’elle propose une voie vers la sincérité.
Inspiré par sa relation avec son propre père, Philippe Godeau, producteur, sans doute happé par sa vie de cinéma – Le Garçu (1995), de Maurice Pialat ; Le Huitième Jour (1996), de Jaco Van Dormael ; Baise-moi (2000), de Virginie Despentes et de Coralie Trin Thi –, le réalisateur propose un exercice de style où le fantasme prend soin de la réalité.
En recourant à plusieurs régimes d’images, il fait varier les échos et crée un jeu émotionnel avec le spectateur qui se laisse volontiers dériver au gré de ces résonances intimes et sensibles. Il y a le noir et blanc du tournage, le format carré où Lou s’imagine en fille de Brel, l’actrice du biopic, les dialogues au présent, la lecture du scénario…
Dans ce chassé-croisé familial, qui dit beaucoup de la pudeur des pères, on retient particulièrement une scène de bistrot, la nuit. Alors qu’Alain s’est échoué, seul, au comptoir, Lou le rejoint, à l’autre bout du bar, feignant une première rencontre. Ainsi échangent-ils des choses essentielles comme deux inconnus qui se comprennent finalement si bien.
Il vous reste 15% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.