Allegro vivace : au théâtre, où le temps peut peser de tout son poids sur l’esprit en proie aux longs ennuis, deux heures trente de spectacle qui filent à tire-d’aile sont un cadeau à goûter à sa juste valeur. Cela, Jean-François Sivadier l’offre avec ses formidables Sentinelles, qui n’ont cessé de tourner depuis leur création, en 2021, et reviennent se poser au Théâtre du Rond-Point, à Paris, où elles sont promises au même succès que celui qu’elles ont rencontré partout ailleurs.
Chez lui, théâtre et musique s’épousent depuis toujours en un même amoureux mouvement. Qu’il s’agisse d’art dramatique ou d’art lyrique, Sivadier met en scène depuis vingt ans des classiques comme Dom Juan, Othello, La Traviata ou Carmen. Mais il est aussi l’inventeur de formes inédites, où l’amour de la musique fait naître le théâtre lui-même : ce fut, notamment, Italienne avec orchestre (rebaptisé ensuite Italienne scène et orchestre), spectacle culte créé en 1997, et régulièrement rejoué pendant vingt ans.
Sentinelles appartient à cette veine, qui retourne en tous sens les possibles offerts par le théâtre pour parler de musique, et inversement. Sivadier a eu l’idée de sa pièce en lisant un roman de Thomas Bernhard, Le Naufragé (Babelio, 1983). L’auteur autrichien, en une suite de variations, y interroge les relations entre trois amis, pianistes virtuoses promis à une brillante carrière : Wertheimer et le narrateur (personnages fictifs), et le génial Glenn Gould, bien réel.
Jean-François Sivadier reprend ce canevas et invente trois personnages, Mathis, Swan et Raphaël, qui se rencontrent à l’adolescence. Tous trois veulent devenir pianiste, intègrent une école prestigieuse dirigée par un maître d’une exigence insondable, et décrochent le Graal qu’est le fameux concours international Tchaïkovski de Moscou. A partir de ce schéma mathématique et limpide comme une partition de Bach, Sivadier déploie ses propres variations autour de l’amour de l’art et des multiples manières de l’investir, sur la question de l’interprétation et sur la frontière, toujours mystérieuse, entre talent et génie.
Trois talents très différents
Car les trois garçons sont très différents. Raphaël Desparnès croit à l’utilité sociale et politique de l’art. Il est, ici, associé au compositeur Sergueï Rachmaninov. Swan Estovan est un tenant de l’émotion et de l’affectivité, du bonheur intérieur que procure la musique. Il a deux dieux, qui sont Chopin et Mozart. Mathis Schielmann clame que seuls comptent l’architecture de la musique, la quête du geste originel du compositeur. Il est, comme chez Bernhard, un double de Glenn Gould, lié à Bach.
Il vous reste 60% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.