Pascal Rambert qui, en 2011, avait sidéré le public en écrivant et en mettant en scène un fracassant et captivant règlement de compte amoureux (Clôture de l’amour), vient-il de déposer lui-même, dans son processus de création, une bombe qui déstabilise sa dramaturgie et, au-delà, alerte sur une littérature aujourd’hui menacée ?
Depuis 2011, l’auteur enchaîne la production de textes de théâtre (pas loin de vingt) qu’il crée, en France et à l’étranger. Il l’affirme avec une constance remarquable : il ne raconte pas des histoires, il écrit pour le corps de comédiens, connus ou moins connus, expérimentés ou très jeunes, qu’il choisit avec soin. Sa cadence est soutenue, le résultat de son travail parfois enthousiasmant, et parfois décevant. En 2023, Ranger et Perdre son sac n’avaient ainsi pas convaincu.
Mon absente, sa dernière proposition (créée au TNS de Strasbourg, reprise à la MC93 de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, actuellement en tournée) ne recule pas devant le flux impérieux des mots. Leur cascade est loin d’être vaine. Elle affirme leur toute-puissance. Mais le texte peut aussi prêter le flanc à la critique. On n’y échappe pas au sentiment de redites à l’écoute de certains des thèmes qui obsèdent l’œuvre de l’auteur : le lien filial, sororal et fraternel, la fragilité de l’amour. Ces tropismes font leur retour par l’entremise d’une fiction de deuil : la mort d’une mère provoque les monologues de ses six enfants (tous nés de pères différents) et celles, annexes, des moins proches.
Partition collective
Le procédé scénographique subordonne la cérémonie théâtrale au rituel du chant funèbre. Les endeuillés se succèdent autour d’un cercueil fleuri, posé au centre d’un plateau lui-même entouré de voilages derrière lesquels déambulent, à pas lents, les acteurs avant qu’ils ne pénètrent dans l’aire de jeu. La parole fait l’action, l’écriture est le nerf de la guerre.
Or, c’est cette écriture que Pascal Rambert soumet à un geste corrosif comme s’il voulait en vérifier la capacité de résistance face à une modernité qui n’accepte plus le poème mais sanctifie la communication. Rompant le flux de phrases à l’architecture impeccable et que porte, entre rage, résignation, ironie ou détresse, une troupe d’excellents comédiens (dont Claude Duparfait et Stanislas Nordey, incroyables dans des rôles de composition), il introduit, au cœur d’une partition orale et collective, des bribes de textes écrits. Sur un écran, on lit ainsi le contenu des SMS que s’envoient les protagonistes. Messages elliptiques, abrégés, déconstruits, phonétiques : l’intrusion va jusqu’aux textos que la fille (Audrey Bonnet) adresse au portable de sa mère qu’elle a pris soin de cacher dans le cercueil avant qu’il ne soit refermé. Que signifie cette ingérence dans un spectacle qui célèbre l’envol de la langue ?
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