L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
La Salle des profs, d’Ilker Çatak, Pas de vagues, de Teddy Lussi-Modeste, Amal (sortie le 17 avril), de Jawad Rhalib… A l’instar de ces trois films, en salle cette année, dont l’action se déroule au collège ou au lycée, L’Affaire Abel Trem, du réalisateur hongrois Gabor Reisz, met en scène un professeur pris dans un engrenage après avoir été accusé à tort par un élève. En l’occurrence, pour l’avoir sanctionné pour ses idées politiques.
Cette concomitance de sorties dit beaucoup de la remise en question de la parole enseignante et questionne le rapport que la société entretient avec la parole des victimes lorsqu’elles sont liées à des sujets brûlants (agressions sexuelles, racisme, politique), ce à quoi il faut ajouter la caisse de résonance des réseaux sociaux.
Voici donc la trame. A Budapest, Abel Trem (Gaspar Adonyi-Walsh), 18 ans, se présente à l’épreuve orale du bac et sèche sur deux questions… La révolution industrielle à l’ère moderne ? Ça ne lui dit rien. Jules César ? Non plus. Pour amorcer le dialogue, Jakab (Andras Rusznak), son professeur d’histoire, désigne la cocarde accrochée sur le revers de la veste du lycéen – traditionnellement portée à l’occasion de l’anniversaire de la guerre d’indépendance de 1848, mais symbolisant de plus en plus le Fidesz, le parti national-conservateur au pouvoir de Viktor Orban. Recalé, Abel décide de mentir à ses parents sur les raisons de son échec, en affirmant avoir été pénalisé à cause de son pin’s, et déclenche, malgré lui, un scandale politico-médiatique mené par une jeune journaliste.
Récompensé du Grand Prix Orizzonti à la Mostra de Venise, en 2023, le troisième film de Gabor Reisz, réalisé sans aucun financement de l’Etat, rappelle la fracture politique du pays et l’agressivité entre les partisans de la gauche et de la droite. Alors que le film se garde de trancher, malgré la violente politique antimigrants et le mépris des droits des personnes LGBT de la part du Fidesz, il décrit un face-à-face tendu entre le père d’Abel, un entrepreneur du bâtiment agacé de voir des jeunes gens partir pour l’Europe occidentale, et le professeur de gauche.
Multiplication des perspectives
Construit en dix chapitres comme autant de chroniques, le film procède par touches impressionnistes avec un goût pour la comédie du détail domestique. Dans les chassés-croisés entre le foyer d’Abel et celui de Jakab, auxquels s’ajoutent les petits nids des personnages secondaires, se lit l’intention de tisser une structure narrative complexe. Cependant, cette multiplication des perspectives a tendance à nous égarer. Il faut patienter une bonne demi-heure avant d’assister au fiasco de l’oral du bac.
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