« Histoire de la pop. Quand la culture jeune dépasse les frontières (années 1950-1960) » (Jugend Pop Kultur. Eine Transnationale Geschichte), de Bodo Mrozek, traduit de l’allemand par Sofiane Boussahel, Editions de la Maison des sciences de l’homme, « Bibliothèque allemande », 520 p., 27 €.
Il fut un temps où le rock, aujourd’hui objet de nostalgie muséifié, suscitait le scandale, s’exposait à la censure et nourrissait des controverses sur la déviance de la jeunesse. Ce que rappelle l’historien berlinois Bodo Mrozek dans son Histoire de la pop, qui va du milieu des années 1950 à celui de la décennie suivante. Comme l’écrit l’auteur en introduction, « dans la perspective d’un présent relativement tolérant à l’égard de formes d’expression culturelle perçues comme dissonantes ou criardes, les débats acerbes autour des sons, des images, des textes et des performances du milieu du XXe siècle semblent étrangement éloignés ».
PV de police
Publié en Allemagne en 2019, ce monumental travail a malheureusement dû être réduit de moitié pour être adapté au format de la « Bibliothèque allemande » des Editions de la Maison des sciences de l’homme. Dans le sillage des cultural studies, le chercheur a entrepris de raconter cette aventure d’une manière à laquelle on est peu habitué : en négligeant la production, et plus encore les biographies de musiciens, pour se concentrer sur la réception de ce qui fut une révolution comportementale, accompagnée d’une panique morale.
L’approche, sociale et transnationale, privilégie cinq pays : les Etats-Unis, berceau du rock ’n’ roll ; la Grande-Bretagne, qui le ranima au début des années 1960 ; les Allemagnes, un cas d’école des deux côtés du Mur, avec une RFA sous influence américaine (notamment à travers la présence de bases militaires) et une RDA où l’amour du rock est vécu dans la clandestinité ; et, surprise, la France, dont on pensait qu’elle n’avait su que générer des ersatz d’Elvis Presley. Or elle joua un rôle important dans le développement d’une culture jeune à travers l’existentialisme, le jazz et le mythe de la bohème.
La méthode de l’auteur permet d’établir des convergences entre les tribus d’une « société pop » dont l’avènement est annoncé dès 1963 par l’écrivain et journaliste Tom Wolfe (1930-2018) : hipsters et beatniks américains, Halbstarken allemands, teddy boys et mods britanniques, blousons noirs français… Cet « âge rebelle » est analysé à l’aune d’une source inattendue : les procès-verbaux de police. Car le rock, pour ses détracteurs, n’est pas une musique. C’est du bruit prêtant à l’obscénité. Les guitares sont électrifiées et les foules, électrisées, loin des conventions respectables de la danse de salon.
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