« Février 34. L’affrontement », d’Olivier Dard et Jean Philippet, Fayard, « Histoire », 752 p., 34 €, numérique 33 €.
Le 6 février 1934 est l’une des journées les plus déchirantes de l’histoire de la France contemporaine. Déchirure politique, sur le moment, avec des manifestations dégénérant en assaut sanglant de la Chambre des députés, laissant quatorze morts par balle sur le pavé parisien. Déchirement mémoriel, ensuite, avec un événement jugé par la gauche comme une tentative de coup d’Etat fasciste, et le souvenir inverse pour les droites extrêmes de « braves gens » dénonçant la corruption des élus. Quatre-vingt-dix ans plus tard, en dépit de considérables débats historiographiques, on ne disposait encore, pour toute étude de l’événement lui-même, que d’une brève et prudente monographie datant de 1975, Le 6 février 1934, de Serge Berstein (Julliard).
Février 34. L’affrontement, d’Olivier Dard et Jean Philippet, se propose de mettre à jour les connaissances en brassant un considérable matériau archivistique. Le livre fournit ainsi un récit très détaillé des jours précédant le 6 février. Dans un pays durement frappé par la crise économique, le déclenchement, fin décembre 1933, de l’affaire Stavisky, du nom d’un escroc lié aux milieux politiques, radicalise l’antiparlementarisme des droites, et surtout des ligues, leur émanation tapageuse destinée à l’action de rue. Leurs manifestations contribuent à la démission du cabinet Chautemps le 27 janvier. Mais, lorsque le nouveau gouvernement d’Edouard Daladier déplace le préfet de police de Paris, Jean Chiappe, très introduit dans les milieux ligueurs, le rejet des gouvernants atteint un point de rupture : le soir du 6 février, de multiples cortèges tentent d’atteindre les députés honnis.
Débordés, bombardés de projectiles, les policiers et les militaires faisant barrage sur le pont de la Concorde ouvrent le feu à deux reprises, y compris sur de simples badauds. Force reste à la loi, mais seulement jusqu’au lendemain, où la menace de manifestations encore plus massives pousse Edouard Daladier à la démission. Les ligues semblent l’avoir emporté. La conclusion des auteurs inverse de façon intéressante ce constat. Selon eux, le 6 février marquerait la défaite définitive du mode d’action des ligues, révélant leur incapacité à proposer une alternative réelle, fasciste, royaliste ou autoritaire, au régime républicain détesté.
Un propos très situé
L’ouvrage ne convainc pas entièrement pour autant. D’abord par son format, privilégiant le fourmillement de détails souvent superflus à la mise en perspective problématisée. En ne citant pas les travaux marquants d’Alain Dewerpe, de Kevin Passmore ou de Sean Kennedy, entre autres, il prive les lecteurs d’une véritable discussion avec l’historiographie de la police, avec celle du fascisme français également, toutes deux fortement renouvelées dans les dernières décennies. Ensuite parce que, sous les dehors d’une recherche classiquement référencée, son propos est très situé, à l’intérieur même du monde des droites extrêmes, dont l’argumentaire est souvent repris sans recul.
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