Né en 1952 en Lituanie, le metteur en scène Rimas Tuminas a fondé son propre théâtre à Vilnius, en 1990, et dirigé, de 2007 à 2022, le Théâtre Vakhtangov à Moscou. Après l’invasion de l’Ukraine, en février 2022, il a perdu ses deux maisons. L’artiste est désormais un nomade.
Comment vivez-vous cette errance à laquelle vous avez été contraint ?
Je vais là où l’on m’invite. J’étais un metteur en scène riche, qui avait deux théâtres sous sa responsabilité. J’ai quitté Moscou quatre jours après le début de la guerre, exprimant ainsi ma protestation contre l’invasion de l’Ukraine. Lorsque je suis revenu, dans la foulée, en Lituanie, dans un contexte particulièrement enflammé, j’ai été victime de la haine du pays envers les Russes. Les nationalistes m’ont désigné comme collabo, car j’avais dirigé un lieu moscovite pendant quinze ans. Ceux qui m’avaient félicité en 2007 me calomniaient en me soumettant au chantage : si je ne quittais pas mon théâtre à Vilnius, ils le fermeraient. J’ai donc accepté de partir, pour que l’équipe et mes élèves sur place puissent continuer de travailler. Mais, lorsqu’on en aura fini avec cette folie, je reviendrai, en catimini, doucement, comme si de rien n’était.
Vous vous êtes alors rendu à Tel-Aviv, où, de nouveau, le fracas des bombes vous a rattrapé, en octobre 2023. La guerre vous hante-t-elle ?
Au début, je la maudissais. Mais désormais le monde entier s’y adonne et nos gouvernants nous abandonnent. Qu’ils se bagarrent et s’entretuent ! Il y aura beaucoup de victimes, mais la terre va renaître. La guerre ne me préoccupe plus. Je suis malade. Je suis soigné à Tel-Aviv. Ma vie se déroule entre la clinique et le théâtre. Ce serait difficile d’écrire la fin de ma biographie mieux que ne l’ont fait les événements politiques. J’ai perdu Vakhtangov puis, en une semaine, mon théâtre de Vilnius. Je pensais qu’autrefois l’artiste mourait seul et miséreux. En fait, cela peut arriver aussi aujourd’hui. Mais ce n’est pas grave.
Créer, est-ce résister ou survivre ?
C’est un appel. Un cri sans objectif précis, qui n’est dirigé nulle part et s’adresse à celui qui, peut-être, l’entendra. L’homme qui crie est un homme seul. J’ai vécu le crépuscule. Aujourd’hui, c’est plutôt la colère qui me construit. J’ai envie de me venger. Envie que les grands de ce monde prêtent serment et jurent de nous protéger. Mais ils n’en feront rien.
Le théâtre est-il pour vous un havre de paix ?
L’artiste se lève le matin en sachant qu’un sourire lui viendra en voyant les comédiens. Le théâtre est la fête de la vie. Je suis en quête de cette fête. La scène est mon laboratoire, le lieu où l’homme cherche l’homme. Le théâtre est un moyen d’accéder à la paix. Dans son silence, il est possible de composer des histoires. J’aime travailler à partir de la littérature. En adaptant Anna Karénine, je me suis taillé un chemin dans une forêt profonde. C’était une joie, j’étais heureux. Il me suffisait d’entrer dans les pages pour y trouver la fontaine de vie, la regarder surgir, puis la ramasser pour la porter sur scène.
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