Le tribunal administratif a confirmé l’interdiction du concert de Freeze Corleone ce jeudi à Lille, prononcée la veille par le préfet.
Une décision qui intervient au moment où le rappeur controversé fait l’objet d’une enquête pour « apologie du terrorisme ».
Retour sur la carrière d’un artiste qui multiplie les provocations et s’est érigé en icône anti-système.
Le Zénith de Lille sonnera creux jeudi soir. La justice administrative a validé ce mercredi l’interdiction du concert du rappeur Freeze Corelone, prononcée la veille par la préfecture des Hauts-de-France. Dans un communiqué, elle estime « le risque de troubles à l’ordre public suffisamment établi pour que l’interdiction prononcée par le préfet du Nord ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression« .
Alors qu’un autre concert programmé à Lyon samedi prochain pourrait connaître le même sort, c’est un coup d’arrêt dans la carrière d’un artiste qui n’en finit plus de susciter la controverse. Né d’un père sénégalais et d’une mère italienne dans la cité des Lilas, en Seine-Saint-Denis, Issa Lorenzo Diakhaté a publié en 2011 sa première mixtape, À la recherche de la daillance, avant de fonder le collectif 667 avec d’autres rappeurs entre Paris, Lyon et Dakar où il réside une partie de l’année.
Histoires d’hologrammes hallucinogènes
Freeze Corelone nourrit ses premiers enregistrements de sa passion pour la SF et les jeux vidéo. Mais aussi des théories du complot à l’image de l’album Projet Blue Dream, en 2018. Un titre qui fait référence à une « légende » selon lequel la Nasa préparerait en secret l’avènement d’un Nouvel ordre mondial par le biais d’hologrammes hallucinogènes.
Hasard ou pas, le rappeur publie plusieurs projets des dates symboliques comme le 11 septembre et le 13 novembre, sans donner de véritables explications puisqu’il ne se livre jamais dans les médias. Sa notoriété ne dépasse de toute façon pas le cadre de la presse spécialisées jusqu’à sa signature chez Universal pour l’album LMF, l’acronyme de La Menace Fantôme.
« Des propos racistes inacceptables »
À la sortie du disque en septembre 2020, la Licra met en ligne un montage de neuf clips du rappeur dans lesquels on l’entend dire « J’arrive déterminé comme Adolf dans les années 30 » ou encore « tous les jours RAF (rien à foutre) de la Shoah« . Saisi par l’association, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmainin annonce étudier les recours juridiques pour poursuivre le rappeur et demande aux plateformes de cesser la diffusion de ses chansons.
En l’espace de quelques heures, le parquet de Paris ouvre une enquête pour « provocation à la haine raciale et injure à caractère raciste » tandis que la major Universal décide mettre un terme à sa collaboration avec le rappeur, estimant que la sortie de LMF « a révélé et amplifié des propos racistes inacceptables« . Quand bien même ils étaient accessibles aux oreilles de tous depuis de longs mois.
Une référence évidente à l’attentat de Nice ?
À l’époque, Freeze Corleone ne réagit pas à l’affaire, qui sera finalement classée sans suite. Mais elle lui a offert une visibilité médiatique inespérée. Et c’est en musique qu’il préfère régler ses comptes « Je préfère être accusé d’antisémitisme que de viol comme Gérald Darmanin » (définitivement mis hors de cause par un non-lieu entre-temps), balance-t-il en septembre dernier sur le single « Shakvat », extrait de son deuxième album, ADC, publié en indépendant.
En ce début d’année 2024, c’est par le biais d’un featuring sur « Haaland », un titre de son collègue Luciano , que Freeze Corleone refait parler lui. « En défense j’suis Kalidou, t’es Lenglet », balance-t-il en référence aux deux joueurs qui n’ont pas franchement le même physique. « Burberry comme un grand-père anglais. J’arrive dans l’rap comme un camion qui bombarde à fond sur la…« .
Le rappeur fait-il allusion aux victimes de l’attentat du 14 juillet 2016 qui avait 86 morts et plus de 450 blessés sur la Promenade des Anglais ? Le collectif de famille des victimes Life for Nice en est persuadé, tout comme les élus locaux comme Christian Estrosi et Eric Ciotti. Dans la foulée, le parquet décide d’ouvrir une enquête pour « apologie du terrorisme« .
Le risque d’un « prosélytisme terroriste »
Ce nouveau dérapage a clairement influé sur l’annulation de plusieurs concerts du rappeur ces derniers jours. Devant le tribunal administratif de Lille où il contestait la décision du préfet, l’avocat de Freeze Corelone, Me Sanjay Mirabeau, s’est agacé que l’on « se demande ce que l’artiste, en ne disant rien, a voulu suggérer dans l’esprit du public« .
« Nous avons tous assisté à des concerts où un artiste laisse à son public le choix de finir sa phrase« , a rétorqué le directeur de cabinet du préfet, Christophe Borgus, soulignant le risque d’un « prosélytisme terroriste« . Reste la possibilité d’un dernier recours devant le Conseil d’État, qui avait retoqué l’annulation d’un concert du rappeur par la mairie de Rennes en mars dernier.
Le discret Freeze Corleone n’a pas non plus commenté cette nouvelle affaire. Mais il a décidé de contre-attaquer pour la première fois en portant plainte contre Eric Ciotti et Christian Estrosi. En découvrant « Haaland », le patron des LR et députés des Alpes-Maritimes avait dénoncé une « nouvelle étape vers l’infâme a été franchie« , tandis que le maire de Nice avait évoqué « une provocation ignoble« .
« Messieurs Christian Estrosi et Éric Ciotti ont cru bon de devoir diffamer Freeze Corleone, en inventant, eux-mêmes, des paroles qu’ils ont décidé d’ajouter à un couplet de l’artiste, pour pouvoir ensuite les dénoncer« , s’est indignée l’équipe du rappeur dans un communiqué. Un clash de plus pour renforcer son image d’icône anti-système ?