« André Breton a-t-il dit passe », de Charles Duits, préface d’Annie Le Brun, éd. Maurice Nadeau, « Poche », 252 p., 10,90 €.
« Souvenirs retrouvés », de Kiki de Montparnasse, Nouveau Monde, « Chronos », 320 p., 8,90 €.
« Une colombe si cruelle. Poèmes en prose et autres textes », de Federico Garcia Lorca, édité et traduit de l’espagnol par Carole Fillière, préface de Zoraida Carandell, édition bilingue, éd. Robert Laffont, « Pavillons poche », 240 p., 8,50 €.
A l’automne sera célébrée, dans divers musées français, cette bizarrerie nommée « centenaire du surréalisme ». Etrange commémoration – imagine-t-on digne et vénérable ce qui fut la montée aux barricades d’une jeunesse irrévérente et foudroyée, sortie sanglante des tranchées, bien décidée à raser la table familiale pour présenter, rêve au poing, la facture au complexe militaro-industriel de la IIIe République, ses asiles et ses laboratoires, ses sacristies et ses arsenaux ? Mais on n’est pas sérieux quand on a 100 ans, et Mathusalem danse le pogo !
En témoigne l’excellente reparution, aux éditions Nadeau, d’André Breton a-t-il dit passe (1969), mémoires de cette figure emblématique du surréalisme d’après-guerre que fut le poète, romancier et peintre Charles Duits (1925-1991). Sa famille, américano-néerlandaise, s’est repliée à New York en 1940. Il a 17 ans quand il écrit à un André Breton de 45 qui voit en lui, nouveau Rimbaud, l’incarnation du futur poétique. « Une de ces rencontres qui transforment les proportions de la vie. » S’ensuit une relation de vingt ans où le respect intimidé se mêle à une lucidité décapante. Si bien des figures défilent dans ces souvenirs uniques (Roberto Matta, Robert Lebel, Max Ernst, Patrick Waldberg et toute l’escouade surréaliste), c’est Breton qui s’impose.
Duits prend le temps d’envisager avec précision un personnage trop souvent réduit à sa tiare : un Breton imposant de densité naturelle, mais aussi candide quand il lit des vers, courtois et quotidien (saisi même au saut du lit), désargenté et messianique. Breton, c’était « la forêt de Brocéliande en complet veston », « on avait la sensation, quand on causait avec lui, de vivre davantage ». Annie Le Brun donne à la réédition de ce témoignage important une préface à tombeau ouvert où, bouclons la boucle, le problème du centenaire est dûment posé : « Le surréalisme est ce qu’il y a de plus étranger au monde qui s’apprête à le célébrer. » Nous voici prévenus.
« De grands gamins crédules », c’est ainsi que Kiki de Montparnasse (1901-1953) jugeait les surréalistes, dont elle fut élue reine en 1929, des « tourneurs de table » avec qui elle ne s’entendit guère. Née Alice Prin en plein Paris populaire, elle exerça une kyrielle de gagne-pain pittoresques et harassants, de laveuse de bouteilles à visseuse d’ailes d’avion, avant de devenir, le corps en vrille, modèle de Kisling, intime de Cocteau, Foujita et Man Ray, qui en fit le modèle de son cliché mythique Le Violon d’Ingres (1924). Ses Mémoires font la tournée des grands-ducs d’une époque où cafés et brasseries étaient le centre nerveux de la vie artistique. Passent donc en foule, patron en tête et clientèle en folie, La Coupole, La Rotonde, Le Bœuf sur le toit. Habitués du zinc et rendez-vous d’un soir, bordels et café-concert. La Marianne des Années folles nous livre l’électricité d’une décennie sans garde-fou.
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