Il y a quelque chose d’incongru dans l’enthousiasme que suscite Boris Nadejdine. Vieux routier de la politique russe, peu charismatique, ignoré par la télévision, cet opposant à Vladimir Poutine n’est pas même assuré d’être candidat à une élection présidentielle par ailleurs jouée d’avance. Et pourtant il déplace les foules.
Celle qui serpente dans une ruelle calme du centre de Moscou, ce soir du mardi 23 janvier à l’heure de la sortie des bureaux, est impressionnante : plusieurs centaines de personnes qui patientent dans le froid, passeport en main, réparties en trois longues files selon leur lieu de résidence officielle – Moscou, région de Moscou, autres régions.
Cette dernière est la plus importante, qui s’étend sur 150 mètres de trottoir enneigé. La plus stratégique, aussi : quelques heures plus tôt, le candidat de 60 ans a annoncé avoir réussi à recueillir les 100 000 signatures nécessaires à sa candidature au scrutin présidentiel du 15-17 mars, mais la législation exige un quota par région. « En Bouriatie, où je suis inscrite, le cap des 2 500 signatures n’a pas encore été atteint », explique, dans la file, Galina Fedorova, 38 ans, employée d’une grande entreprise.
A l’image de nombre de ceux qui ont fait le déplacement pour lui apporter leur soutien, la jeune femme sait peu de choses de Boris Nadejdine, sinon les points les plus saillants de son programme : négociations de paix immédiates avec l’Ukraine – la guerre a été « une erreur fatale » pour la Russie, estime-t-il –, retour des mobilisés, libération des prisonniers politiques. « Cela me suffit amplement de savoir qu’il est contre Poutine et contre “l’opération spéciale” », tranche Mme Fedorova.
« Pouvoir me regarder dans le miroir »
Depuis le début du mois de janvier, de telles files d’attente sont observées partout dans le pays – jusqu’à la Iakoutie, par des températures atteignant – 45 °C – et même à l’étranger, pour les exilés. Après l’éviction de l’ancienne journaliste Ekaterina Dountsova, elle aussi candidate antiguerre à la présidence, la soif de contestation d’une partie de l’opinion russe s’est reportée sur M. Nadejdine. Les volontaires et les dons affluent, des points de récolte de signatures ont été déployés dans deux cents villes.
Le précédent Dountsova, écartée à un stade encore plus précoce pour de supposées « erreurs » dans les documents officiels remis à la commission électorale, rappelle aussi une évidence : il y a peu de chances de voir Boris Nadejdine, physicien de formation et vétéran des formations libérales, figurer au casting final de l’élection. Depuis une décennie, le recueil des signatures est l’arme favorite utilisée par le pouvoir pour disqualifier les candidats indésirables à toutes les élections possibles – erreurs inventées ou réelles (une adresse mal orthographiée…) suffisant à interdire de participation.
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