Selon les sondages, une large majorité de Français soutient le mouvement de protestation des agriculteurs.
Parmi les solutions qui permettraient de protéger le modèle agricole hexagonal : la consommation de produits issus de cultures françaises.
Mais est-il possible d’acheter 100% « made in France » ? Pas si simple…
L’agriculture française fait entendre sa colère. Depuis deux semaines, les professionnels du secteur agricole manifestent dans l’Hexagone pour demander de meilleures conditions de vie et d’exercice de leur métier. Un mouvement soutenu par une large de majorité de Français : selon un sondage Odoxa pour Le Figaro publié le 24 janvier, 89% d’entre eux l’approuvent.
Parmi les actions que les personnes interrogées se disent prêtes à mettre en place pour aider ceux qui les nourrissent : manger davantage de produits français et moins de produits importés, dont les agriculteurs dénoncent la concurrence déloyale. Mais est-il si simple de consommer des aliments provenant uniquement dans l’Hexagone ?
Une production alimentaire (très) spécialisée
Si la France est la première puissance agricole en Europe (18% de la production, devant l’Allemagne et l’Italie), un produit alimentaire sur cinq (20%) de l’Hexagone provient de l’étranger. Une tendance à la hausse ces dernières années : les importations ont quasiment doublé en 20 ans. Une situation due à une certaine « spécialisation » de l’agriculture française.
« On est leader sur certains produits comme les céréales, les oléagineux ou le lait. Le consommateur français mange du blé français et boit du lait français », pointe Aurélie Catallo, directrice Agriculture France pour l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), auprès de TF1info. « Par contre, on est structurellement déficitaires sur beaucoup d’autres secteurs : on importe 50% de nos fruits et légumes, 50% de notre volaille, et plus de 80% de nos besoins en protéine végétale. »
Selon une étude de FranceAgriMer sur la « souveraineté alimentaire » publiée en 2023, la France produit effectivement une grande quantité de céréales, du sucre, du vin et plusieurs produits laitiers. Difficile en revanche de trouver du riz, des fruits tropicaux, du soja, du thé, du café ou encore du cacao « made in France ».
La viande ovine et certains fruits et légumes « dont les Français souhaitent disposer toute l’année » proviennent eux aussi en majorité de l’étranger. Si les trois quarts (74%) des besoins en pommes de terre sont couverts par la production nationale, la France enregistre ainsi un déficit de 3% pour les fruits tropicaux et agrumes, selon le rapport de FranceAgriMer.
Autres chiffres : 95% des besoins en orge sont couverts par la production nationale, mais… 0% pour le riz. Côté viande, 79% de la consommation de bœuf est couverte contre 58% pour le poulet, un cas emblématique de la situation française. Selon FranceAgriMer, il faudrait ainsi que chaque poulet français ait trois ou quatre filets pour satisfaire les besoins du pays. Même chose ou presque pour la pêche.
Bien que dotée d’une façade maritime parmi les plus importantes, « l’activité française n’est pas suffisante pour pourvoir la totalité de la consommation nationale », souligne l’organisme, selon qui « environ trois quarts des volumes consommés sont importés ». Un phénomène renforcé par le penchant des Français pour des poissons ou crustacés non produits en France, précise-t-il, citant le saumon, le cabillaud, le thon et les crevettes.
Si demain, par miracle, 100% des consommateurs français se disaient ‘je ne mange plus que français’, ça ne marcherait plus
Si demain, par miracle, 100% des consommateurs français se disaient ‘je ne mange plus que français’, ça ne marcherait plus
Aurélie Catallo, directrice Agriculture France à l’IDDRI
« La France n’est pas du tout dans une position dominante ou d’autosuffisance sur tout ce que l’on consomme, loin de là. On a fait le choix de doper la productivité de certaines productions. Et le revers de la médaille, c’est qu’il y a des produits où on est dépendants de l’importation », résume Aurélie Catallo.
Si une personne souhaitant manger « 100% tricolore » le pourrait aujourd’hui à échelle individuelle, la situation serait tout autre pour l’ensemble du pays. « Demain, si par miracle tous les consommateurs se disaient ‘je ne mange plus que français’, ça ne marcherait plus », assure la spécialiste. « Pour le moment, notre modèle agricole n’est pas organisé pour avoir suffisamment de diversité couvrant les besoins de toute la population sur tout ce qui compose l’alimentation ».
Avec une production nationale en déclin, la tendance n’est pas à l’amélioration. Pour les fruits tempérés (pomme, poire, pêche, abricot ou cerises) par exemple, la France a connu un recul de 17% en dix ans, faisant basculer la filière d’un niveau de quasi-approvisionnement à une dépendance aux importations. Et, en parallèle, une baisse de la capacité exportatrice.
« Sur les légumes frais en revanche, les exportations se tiennent, mais la baisse de production (bien plus limitée que pour les fruits frais, de 4% sur 10 ans) entraîne un surcroît d’importation pour compenser la consommation stable », note FranceAgriMer, signalant le cas « un peu à part » de la pomme de terre, qui « maintient globalement son rang ».
L’institut fait également remarquer que, « paradoxalement, ce ne sont pas les filières les plus spontanément envisagées en termes de perte de souveraineté (viandes, fruits et légumes) qui connaissent les évolutions les plus marquées, mais bien les produits laitiers, les céréales et les oléoprotéagineux ».
Des produits trop chers ?
Quand bien même se fournir en 100% français serait possible, le coût pour les ménages se révélerait sans doute bien trop important. Selon un rapport datant de 2020, FranceAgriMer estimait que ce « déficit de souveraineté » pouvait être lié aux charges plus lourdes qu’ailleurs. La main-d’œuvre en France est ainsi 1,7 fois plus élevée qu’en Espagne, 11 fois plus qu’en Pologne et 70 fois plus qu’au Maroc. Des produits nationaux reviennent donc bien plus chers que leurs équivalents importés, à l’instar des clémentines : 4,37 euros le kilo pour du bio importé contre 7,20 euros pour du « made in France ».
Des écarts de prix qui participent à la disparition de certaines filières. Exemple le plus parlant mentionné plus haut : le poulet. « L’exemple de la volaille est symbolique des difficultés », explique Aurélie Catallo. « On en produit de moins en moins, mais on en consomme de plus en plus et donc on en importe de plus en plus. » Une volaille venue de l’étranger « devenue la viande pas cher par excellence », poursuit l’experte, faisant état par ailleurs d’« une sorte de détournement du consommateur français pour de la viande française de qualité, avec une baisse de consommation de l’ordre de 15 à 20% ».