lundi, novembre 18

Les États-Unis devraient finalement autoriser l’Ukraine à frapper la Russie avec des missiles américains à longue portée.
Ce changement majeur de doctrine stratégique va-t-il marquer un tournant dans le conflit ?
La France fournit, elle aussi, des missiles de longue portée à l’Ukraine et affirme que frapper le sol russe reste une option.

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Guerre en Ukraine : un conflit sans fin

C’est un changement de doctrine majeur de la part de Joe Biden, qu’il opère alors qu’il s’apprête à quitter la Maison Blanche dans deux mois. Le président américain a choisi d’autoriser l’armée ukrainienne à utiliser ses missiles à longue portée ATACMS pour des frappes sur le territoire russe, ce qu’il refusait jusqu’à présent. Moscou a condamné ce lundi cette décision , encore non-officielle, que le président ukrainien réclamait depuis plus d’un an. 

Il s’agit, pour les forces ukrainiennes, de pouvoir frapper la Russie en profondeur, pour atteindre les bases d’où les Russes lancent leurs attaques. Les missiles américains permettraient aussi d’intervenir dans la région de Koursk, où les forces ukrainiennes ont pris pied lors d’une offensive en août dernier. Joe Biden s’est longtemps refusé à une telle utilisation de ses missiles, de crainte d’une escalade avec Moscou. Cette autorisation pourrait aussi ouvrir la voie à celles des autres pays alliés qui ont fourni des missiles à l’Ukraine, et qui s’étaient jusqu’ici alignés sur Washington.

225 cibles répertoriées en août

L’Institut pour l’étude de la guerre (ISW), a établi en août dernier la carte des quelque 225 sites (nouvelle fenêtre) militaires russes que pourraient atteindre les missiles ATACMS américains tirés depuis l’Ukraine, avec leur portée de 300 kilomètres. Des casernes, des bases aériennes, des entrepôts, font partie de la longue liste des cibles qui pourraient aider l’Ukraine à freiner les opérations lancées depuis l’ouest de la Russie. 

Les États-Unis ont livré plusieurs centaines de missiles ATACMS à Kiev, que l’armée ukrainienne utilise depuis octobre 2023. ATACMS est l’acronyme de « Army Tactical Missile System » (« Système de missile militaire tactique » en français). Un nom qui est prononcé « Attack’ems » par les militaires américains, c’est-à-dire « Attaque-les » en français. C’est un missile sol-sol, de type MGM-140, en service dans l’arsenal américain depuis 1991. Il est remplacé progressivement par le « Precision strike missile », depuis décembre dernier, dont la portée monte à 500 kilomètres.

On ignore de combien de missiles ATACMS dispose encore l’Ukraine, après un an d’utilisation à l’intérieur de ses frontières, quelques dizaines au plus selon des estimations d’experts. Les forces ukrainiennes devront donc être très économes dans leurs choix de frappes, a fortiori avec l’arrivée d’une nouvelle administration américaine en janvier prochain, qui pourrait mettre fin à l’approvisionnement en armes. On ignore d’ailleurs aussi, faute d’annonce officielle, si l’autorisation consiste à laisser le libre choix des cibles à Kiev, ou si le feu vert de Washington sera accordé au cas par cas.

LCI vous répond : missiles longue portée, un tournant pour Kiev ?Source : TF1 Info

L’armée ukrainienne dispose d’autres missiles fournis par les alliés, lesquels pourraient, eux aussi, décider d’une levée des restrictions après la décision de Washington. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a ainsi réaffirmé dès ce lundi que le tir des missiles français sur le sol russe restait « une option », ainsi qu’Emmanuel Macron l’avait formulé en mai dernier. Une option qu’il limitait alors aux seules frappes sur des cibles militaires en capacité de déclencher des offensives sur l’Ukraine.

Les missiles Scalp ont une portée légèrement inférieure à celle des ATACMS, et le nombre d’exemplaires livrés par la France courant 2023 est estimé à une quarantaine. Le Scalp est le produit d’une collaboration franco-britannico-italienne, et la Grande-Bretagne et l’Italie ont également livré leurs propres exemplaires (nommés « Storm Shadows » dans leur version britannique). Là aussi, une partie des missiles ont déjà été utilisés sur le terrain, à l’intérieur des frontières de l’Ukraine, selon le commandement ukrainien, notamment en Crimée et dans la mer Noire. 

Si Londres et Paris ont déjà manifesté par le passé leur souhait que les forces ukrainiennes puissent utiliser leur armement sur le sol russe, et pourraient s’aligner rapidement sur la décision de Washington, il en va tout autrement pour l’Allemagne. Deuxième fournisseur d’aide militaire à l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe, Berlin refuse toujours de livrer ses missiles Taurus, demandés par Kiev. L’Allemagne va en revanche lui fournir 4000 drones tactiques HX-2 Karma, pilotés par intelligence artificielle, surnommés mini-Taurus. Une comparaison toutefois exagérée, selon le ministère allemand de la Défense, les engins étant limités à une autonomie d’une quarantaine de kilomètres (nouvelle fenêtre)

Même avec le feu vert de Washington, la situation sur le terrain a changé depuis le mois d’août. La carte dressée alors par l’ISW est probablement déjà caduque, tant l’autorisation de Washington avait été anticipée. Moscou aurait retiré de cette zone de 300 kilomètres son armement le plus sensible, comme ses bombardiers. En septembre dernier, la porte-parole du Pentagone estimait déjà que de toute façon 90% des bases d’où partaient les avions russes transportant des bombes planantes étaient situées hors de portée d’ATACMS. Il faut également réévaluer la portée supposée de 300 kilomètres, quand on sait que l’Ukraine mettrait en danger son maigre arsenal en positionnant ses lanceurs trop près de la ligne de front. 

L’annonce spectaculaire de Washington est-elle un trompe-l’œil ? Stephen Biddle, professeur d’affaires internationales à l’Université américaine de Columbia « ne pense pas que cela soit décisif dans le déroulement de la guerre ». Comme plusieurs experts qui réagissent au feu vert encore flou de Joe Biden, il estime que des attaques en profondeur des ATACMS ne sauraient avoir les effets qu’on pouvait en espérer il y a quelques mois. Ce dernier acte de la présidence semble viser un autre but. 

Si les missiles américains restent menaçants dans la limite des 300 kilomètres, c’est pour les milliers de soldats nord-coréens que Pyongyang vient d’y déployer. Le signal est alors clair pour l’allié nord-coréen de Moscou, invité à ne pas engager plus de moyens humains dans le secteur de Koursk, où les troupes ukrainiennes ont pris pied en août dernier. C’est aussi et surtout le moyen de protéger un des seuls atouts dont disposerait Kiev, l’occupation de cette région russe, si l’arrivée de Donald Trump à la présidence accélérait la mise en place de négociations avec Vladimir Poutine.


Frédéric SENNEVILLE avec l’AFP

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