lundi, juillet 1
Gabriel Zucman, directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité, lors d’une conférence de presse à la commission européenne, à Bruxelles, le 1er juin 2021.

Partout dans le monde, les ultrariches échappent largement à l’impôt, et cette injustice fiscale alimente la défiance à l’égard des institutions, explique Gabriel Zucman, directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité. Dans un rapport commandé par le Brésil, qui préside le G20 cette année, l’économiste préconise l’instauration d’une taxe mondiale sur leur patrimoine, susceptible de rapporter 250 milliards de dollars (233 milliards d’euros) par an aux Etats.

Votre rapport souligne que les 3 000 milliardaires de la planète échappent très largement à l’impôt. Comment en est-on arrivé là ?

C’est d’abord une faillite de l’impôt sur le revenu, normalement pierre angulaire de la progressivité fiscale. Pour les personnes disposant d’un patrimoine élevé, il est facile de structurer leur fortune afin qu’elle génère peu de revenus imposables. On a longtemps ignoré l’ampleur du phénomène, mais plusieurs études récentes ont permis de le quantifier : l’évitement de l’impôt sur le revenu par les plus grandes fortunes est massif et systématique.

Aujourd’hui, le seul impôt qui frappe véritablement les milliardaires est celui sur les sociétés, dont ils s’acquittent par le biais des entreprises qu’ils détiennent. Mais le taux de cet impôt a nettement baissé ces dernières décennies, en raison de la course au moins-disant fiscal entre les Etats et de la délocalisation des bénéfices dans les paradis fiscaux.

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Résultat : tous impôts confondus, les prélèvements obligatoires acquittés par les milliardaires se sont effondrés. Le cas des Etats-Unis est frappant. Dans les années 1950, les milliardaires américains payaient plus de 50 % de leurs revenus en impôts. Aujourd’hui, leur taux est de l’ordre de 20 %.

Quelles en ont été les conséquences ?

Ces évolutions fiscales ont contribué à l’explosion de la richesse des milliardaires. En 1987, celle-ci pesait l’équivalent de 3 % du produit intérieur brut mondial. Aujourd’hui, elle atteint 14 %. Or, près de la moitié de cette croissance résulte de leur moindre taxation, qui leur a permis d’accumuler plus de patrimoine, par un effet boule de neige. La richesse des milliardaires a ainsi augmenté de 7,1 % par an depuis 1987 (après soustraction de l’inflation), quand celle par adulte n’a progressé que de 3 % par an en moyenne au niveau mondial.

Cet enrichissement des milliardaires a-t-il bénéficié au reste de l’économie, par l’effet dit « de ruissellement » ?

Prenons le cas des Etats-Unis, pays qui a mis en œuvre la tentative la plus poussée pour tester cette théorie du ruissellement. En 1980, quand Ronald Reagan remporte l’élection présidentielle, le taux marginal supérieur d’impôt sur le revenu était de 70 % – c’était le plus élevé des pays industrialisés. En 1986, il est tombé à 28 % – le plus faible des pays industrialisés.

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