Le moment est on ne peut plus inopportun : alors que les forces ukrainiennes reprennent l’initiative et défient Moscou en lançant un assaut audacieux sur le territoire de leur agresseur, l’Allemagne, principal fournisseur européen d’aide à l’Ukraine, décide qu’elle n’a plus les moyens de maintenir son assistance militaire à Kiev au niveau actuel et va la réduire de moitié.
L’Allemagne, ou plus précisément son tout-puissant ministre des finances, Christian Lindner, représentant du Parti libéral au sein de la coalition tripartite gouvernementale. Défenseur intraitable de la rigueur budgétaire, le ministre a annoncé dans une lettre adressée à ses collègues de la défense (social-démocrate) et des affaires étrangères (Verts), le 5 août, qu’ils devraient trouver ailleurs que dans son budget, à partir de 2025, les fonds nécessaires à la livraison d’équipements supplémentaires promis à l’Ukraine.
Le contenu de la lettre a été révélé le 17 août par le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung. M. Lindner renvoie ce financement à d’hypothétiques fonds européens ou aux intérêts des avoirs russes gelés, qui ne sont pas encore disponibles.
L’annonce a consterné les Ukrainiens et ravi, outre-Atlantique, les partisans du candidat Donald Trump, qui se sont empressés de demander pourquoi les Etats-Unis devraient aider l’Ukraine si l’Europe cesse de le faire. Les partenaires européens de Berlin se sont pour l’instant abstenus de commenter la décision de M. Lindner, par souci de ne pas compliquer encore la très fragile situation politique allemande et dans l’espoir, sans doute, que des discussions au sein du gouvernement ou au Bundestag permettent d’amender la mesure.
Machine de la désinformation
Les partenaires de l’Allemagne composent en effet depuis plus de trois ans avec les difficultés d’une coalition à Berlin devenue ingérable. Ils savent aussi que le chancelier Olaf Scholz, de plus en plus affaibli, affronte en septembre trois élections régionales dans des Länder de l’est du pays où les partis populistes de droite et de gauche, opposés à l’aide à l’Ukraine, sont très bien placés.
Tout cela est vrai, mais l’incapacité du chancelier à résister aux diktats de son ministre des finances envoie un signal désastreux au-delà de l’Allemagne dès lors qu’il s’agit de l’aide à un pays agressé par la Russie au cœur de l’Europe. Le retour de la guerre à grande échelle sur le continent européen a bouleversé la situation géopolitique et forcé les Etats européens à augmenter considérablement leurs dépenses de défense. Il serait fatal que l’Allemagne, première puissance économique de l’Union européenne et première pourvoyeuse, après les Etats-Unis, d’aide à l’Ukraine, se soustraie à cet effort sous prétexte d’impératifs de politique intérieure.
C’est le signal que le président russe, Vladimir Poutine, attendait depuis qu’il a lancé l’invasion de l’Ukraine, il y a deux ans et demi : le renoncement des alliés européens de Kiev, au nom de leurs contraintes budgétaires et de l’usure de leur opinion publique. Conscient plus que tout autre des vulnérabilités allemandes à cet égard, Poutine fait marcher à fond la machine de la désinformation.
Le moment est d’autant plus malencontreux que la France est lourdement handicapée par sa crise politique et que les Etats-Unis sont en campagne électorale. L’un de ces alliés, heureusement, reste ferme : le Royaume-Uni, dont le nouveau gouvernement travailliste a maintenu la politique d’aide à l’Ukraine des conservateurs.