mardi, novembre 5

Un an et demi après le suicide de Lindsay, 13 ans, victime de harcèlement scolaire, la question de la responsabilité du principal du collège est posée.
En cause notamment, une lettre d’adieu dont l’enquête a révélé qu’elle avait été écrite par sa meilleure amie, Maëlys.
L’adolescente s’est confiée ce dimanche dans un reportage exclusif de « Sept à huit ».

Suivez la couverture complète

Colère et émoi après le suicide de Lindsay, harcelée à l’école

« Si vous lisez cette lettre, c’est que je suis sûrement parti (…) Je n’en pouvais plus des insultes matin et soir, des moqueries, des menaces ». Il y a un an et demi, cette lettre d’adieu, signée par Lindsay, 13 ans, victime de harcèlement scolaire, avait bouleversé la France. Cette missive pointait un responsable, le principal du collège dans lequel était scolarisée l’adolescente : « Je ne pouvais même pas me confier au directeur, car il ne voulait rien entendre »

Mais aujourd’hui, l’enquête révèle que cet appel au secours, rédigé trois mois avant son suicide, n’a pas été écrit par Lindsay, mais par sa meilleure amie, Maëlys. Elle se confie dans le reportage du magazine « Sept à Huit », diffusé ce dimanche sur TF1, à retrouver en tête de cet article. « Elle m’a bien dit de ne dire à personne que c’était moi qui avais écrit cette lettre. C’est peut-être écrit de ma main, mais ce n’est pas mes mots. Elle me disait une phrase et je la recopiais », assure-t-elle. 

Une expertise graphologique

Le 12 mai 2023, en fin de journée, Lindsay est retrouvée pendue dans sa chambre. Depuis plusieurs mois, elle se disait victime de harcèlement venant d’un groupe de jeunes filles de son collège, à Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais. Trois mois avant son geste fatal, la mère de Lindsay porte plainte contre trois collégiennes. Elle envoie aussi un dossier aux services académiques dans lequel figurent des certificats médicaux attestant de coups et blessures sur Lindsay, ainsi que la fameuse lettre d’adieu. Un appel au secours que son beau-père aurait retrouvé sous le matelas de l’adolescente. Peine perdue. Lindsay met fin à ses jours. Après son suicide, une enquête judiciaire est ouverte au tribunal de Béthune. Quatre collégiennes sont mises en examen pour harcèlement ayant conduit au suicide. Le principal, lui, est placé sous le statut de témoin assisté. 

Au cours de l’enquête, plusieurs collégiennes sont entendues. L’une d’elles fait part de ses doutes sur la lettre d’adieu de Lindsay, comme le raconte maître Frank Berton, l’avocat du principal du collège. « Cette camarade vient dire : ‘Ça me semble curieux. Ce n’est pas sa façon d’écrire, ce n’est pas son écriture. Ce n’est même pas la même manière dont on écrit Maëlys’. Donc la juge d’instruction, alertée manifestement là-dessus, va ordonner une expertise graphologique. Ce qui est présenté comme la lettre de suicide de Lindsay n’est pas du tout écrite de sa main. Et l’expert va plus loin en donnant le nom de la rédactrice et dit : ‘C’est Maëlys, sa copine, qui a écrit cette lettre' », avance-t-il.

J’écrivais ce qu’elle me dictait de dire. Des fois, elle réfléchissait à des phrases. Mais je n’écrivais rien de moi-même.

Maëlys, la meilleure amie de Lindsay

Maëlys s’en explique en compagnie de sa mère. « Lindsay m’en parle de cette lettre. Elle m’explique qu’elle avait fait une lettre de suicide. Que son beau-père l’avait retrouvée sous son matelas », raconte-t-elle, avant que sa mère enchaîne : « Et après, ils ont eu une discussion avec Lindsay et Lindsay a déchiré cette lettre », précise-t-elle. Betty, la mère de Lindsay, demande alors à sa fille de réécrire la lettre. Ce jour-là, Maëlys était présente. « Betty lui dit : ‘Il faut que tu refasses cette lettre pour l’envoyer à l’académie pour qu’ils puissent vous aider' », poursuit la mère de Maëlys. 

La jeune fille ajoute : « Elle a commencé à essayer de réécrire cette lettre, mais réécrire une lettre mot pour mot, surtout de suicide, c’était compliqué. Elle pleurait. C’est à ce moment-là qu’elle m’a demandé si je pouvais faire cette lettre. Donc je ne savais pas trop comment réagir à ça. J’ai préféré avoir une discussion d’abord avec elle. Mais j’ai eu besoin qu’elle me promette que plus tard, elle ne ferait rien, aucune bêtise, rien du tout. Donc j’ai dit ‘oui’ pour écrire cette lettre. J’écrivais ce qu’elle me dictait de dire. Des fois, elle réfléchissait à des phrases. Mais je n’écrivais rien de moi-même. Je n’en ai parlé à personne », détaille-t-elle.

Selon Maëlys, Lindsay avait un objectif : cibler le principal du collège . « En fait, elle voulait à tout prix faire savoir que le principal ne nous aidait pas, qu’il n’avait pas son rôle de principal. Qu’il ne savait pas gérer un collège parfaitement parce qu’il laissait des choses comme ça arriver, alors que ce n’était pas normal. Donc, elle voulait à tout prix faire passer ce message », explique Maëlys pour justifier son geste.

« Une erreur d’appréciation »

D’après l’avocat de la mère de Lindsay, maître Pierre Debuisson, celle-ci n’aurait pas remarqué que cette lettre n’était pas de la main de sa fille. « Tout d’abord, il semblerait que l’écriture de Maëlys et Lindsay soit extrêmement prochenet surtout au moment où cette lettre a été remise, il est évident que Betty était dans un état psychologique tellement fragile par rapport au harcèlement dont était victime sa fille (…) qu’elle n’était pas en état de faire un distinguo entre la lettre de sa fille et une autre lettre avec des écritures extrêmement proches », tranche-t-il. Et de poursuivre : « Ce qui est certain, c’est que le contenu de cette lettre est parfaitement conforme à toutes les déclarations qui ont pu être faites par Lindsay, verbalement, mais aussi par écrit, notamment par rapport à une plainte qui a été faite auprès de la police (…) Donc, le fait qu’elle ne soit pas à l’origine de cette lettre ne pose aucune difficulté et ne remet surtout pas du tout en question le harcèlement scolaire dont elle a subi les conséquences pendant presque six mois », insiste-t-il. 

Ce n’est qu’en février dernier, lors d’un rendez-vous chez le médecin, en présence de sa mère et de la mère de Lindsay, que Maëlys aurait avoué avoir écrit la lettre. « C’est là qu’elle nous a expliqué comment était Lindsay. Que Lindsay était incapable d’écrire, que c’était dur déjà d’avoir écrit cette première lettre et qu’il fallait qu’elle refasse une deuxième, donc c’était dur pour elle. Maëlys, si elle l’a fait, c’est justement pour aider Lindsay », souligne la mère de Maëlys. En plus de la lettre, un autre élément pointe la responsabilité du principal : un rapport de l’Inspection générale du ministère de l’Éducation nationale, rédigé en juillet 2023, deux mois après le suicide. Ce document que Sept à Huit révèle en exclusivité est sans équivoque. « Le principal a commis une erreur d’appréciation du dossier conduisant à une réponse inadaptée », peut-on lire. 

Selon ce rapport, le conflit que le principal entretenait avec la famille de Lindsay lui aurait fait sous-estimer la portée du dossier et mettre en doute l’intention de la jeune fille de mettre fin à ses jours. « Les investigations que nous avons demandées ont révélé de très graves défaillances, avec des fautes lourdes de ce principal. (…) Et c’est d’ailleurs assez significatif d’un état d’esprit particulier de l’Éducation nationale qui préfère muter et peut-être promouvoir des personnes qui commettent des fautes plutôt que de les virer purement et simplement. Je trouve ça inadmissible que le directeur du collège soit directeur d’un nouveau collège », avance maître Debuisson, l’avocat de la mère de Lindsay. 

Mais pour Franck Berton, l’avocat du principal, « on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir été à l’écoute ». « En tout état de cause, ce n’est pas quelque chose qui a été pointé du doigt comme étant une faute lourde, une faute vraiment suffisamment grave pour que cet homme puisse être impliqué à la fois sur le plan judiciaire, mais aussi sur le plan administratif », ajoute-t-il. Au-delà du principal, le rapport académique dénonce la défaillance de toute la chaîne d’alerte anti-harcèlement, en particulier de la commission départementale en charge de la question, qui a examiné le dossier de Lindsay un mois avant son suicide. L’Inspection pointe « une sous-estimation de plusieurs éléments du dossier conduisant à une erreur d’appréciation », et le dossier a finalement été classé en avril 2023. 

Par ailleurs, l’inspection académique, comme l’enquête judiciaire, révèle un autre élément qui pourrait avoir joué le rôle de déclencheur dans le suicide de l’adolescente. Une rumeur relayée sur les réseaux sociaux prétendant qu’elle aurait tourné des vidéos d’elle dénudées. Cette rumeur sans aucun fondement aurait été lancée par son ex-petit ami, comme l’explique le reportage de « Sept à Huit » à retrouver en intégralité en tête de cet article.


V. F | Reportage « Sept à Huit » Christophe Dubois

Partager
Exit mobile version