La ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, a décidé d’intervenir, mardi 16 mai, après la diffusion d’une demi-douzaine de témoignages de maltraitances dimanche dans l’émission Stade 2, sur France 3. La ministre a annoncé l’ouverture d’une enquête en raison de faits « particulièrement graves » et, par ailleurs, interdit d’exercice le directeur technique du pôle France de gymnastique de Marseille, récemment condamné par la justice à six mois de prison avec sursis pour harcèlement moral.
Comment l’affaire a-t-elle débuté ?
Le point de départ de cette affaire se situe dimanche 14 mai. L’émission Stade 2 diffuse un reportage dans lequel six anciennes membres de l’équipe de France de gymnastique (toutes mineures à l’époque des faits), déclarent avoir été les cibles de maltraitances, de violences physiques ou psychologiques de la part d’une haute dirigeante de l’équipe de France de gymnastique (toujours en poste) et d’un entraîneur. Dans son documentaire, France Télévisions n’a pas divulgué leur identité.
Qui sont les athlètes qui ont témoigné ?
Sur les six anciennes athlètes, quatre ont accepté de témoigner à visage découvert.
Valentine Sabatou (membre de l’équipe de France de 2009 à 2015), raconte avoir été contrainte de participer à une démonstration malgré une fracture à la cheville, dont son entraîneur avait connaissance, peu avant les Jeux olympiques de Londres en 2012. La jeune femme, âgée aujourd’hui de 26 ans, n’en avait que 16 à l’époque.
Clara Della Vedova (2009 à 2012), qui s’est également confiée à Europe 1 Sport, dénonce quant à elle des violences psychologiques répétées, qui prenaient la forme de réflexions sur son physique et son poids de la part du même entraîneur. « T’es une chèvre, t’es nulle, t’es bonne à rien », s’entend dire celle qui n’est qu’une adolescente. A tel point que la jeune femme est « soulagée » quand, peu avant les Jeux olympiques de Londres, elle se blesse à un tendon d’Achille. « Ces méthodes d’entraînement sont contre-productives et peuvent briser des carrières et des vies », dénonce la jeune femme auprès d’Europe 1 Sport, expliquant que son témoignage lui semblait nécessaire et être « une très bonne chose pour les générations futures ».
Camille Bahl (2014 à 2017), elle aussi, dénonce les remarques, réflexions et pressions faites sur son physique par une haute responsable de l’équipe de France, qui lui a notamment demandé de perdre trois kilos en une semaine. « T’es lourde dans ta gym, c’est pas beau. » La jeune femme devait alors suivre ce qu’elle qualifie de « régimes absurdes ».
Deux autres athlètes, sous couvert d’anonymat, relatent des faits similaires et déplorent le comportement de cette encadrante.
Enfin, l’athlète Marine Petit explique avoir été giflée par cette dernière alors qu’elle avait participé à une fête organisée par Thomas Bouhail pour célébrer sa médaille d’argent aux Jeux olympiques de Pékin en 2008. Marine Petit n’avait que 15 ans.
Qui sont les mis en cause ?
L’entraîneur mentionné par les athlètes s’est défendu par écrit auprès de France Télévisions. S’il conteste la version de Valentine Sabatou concernant sa blessure, il reconnaît avoir pu dire des paroles blessantes.
Il n’est plus sous contrat avec la Fédération française de gymnastique (FFG) depuis 2013, souligne l’Agence France-Presse (AFP). « Les résultats [de l’entraîneur] et son comportement ne donnaient pas satisfaction, relate auprès de l’AFP James Blateau, président de la FFG. Ce n’était pas forcément les choses exprimées là [dans l’enquête de dimanche], mais de ce genre-là. C’est-à-dire pas les bons mots, pas les bons comportements. »
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Selon France Télévisions, l’entraîneur a été dénoncé publiquement en 2007 pour ses méthodes en Suisse, avant qu’il n’officie en équipe de France, puis a été mis en cause en 2019 par une gymnaste mexicaine.
La haute responsable de l’équipe de France (qui en fait partie depuis une quinzaine d’années) au cœur des témoignages des gymnastes est, elle, toujours en poste. Aucun des deux ne fait pour l’heure l’objet de poursuites pénales ou disciplinaires.
Comment a réagi le ministère ?
Après la diffusion du reportage, Amélie Oudéa-Castéra, présente sur le plateau de Stade 2, a annoncé l’ouverture d’une enquête dès le lendemain – soit le lundi 15 mai. Elle a souligné le courage des jeunes femmes, qui n’étaient alors que des « enfants ». « Elles le font dans un moment où elles essayent de se reconstruire et elles le font pour aider à ce que cela ne se reproduise pas pour d’autres », a-t-elle ajouté. Dans un communiqué du ministère, la ministre a dénoncé des pratiques qui « confond[ent] l’exigence avec la violence, la discipline avec la maltraitance ».
Mardi, Amélie Oudéa-Castéra a reçu James Blateau et Kévinn Rabaud, le directeur technique national de la FFG. Fabienne Bourdais, directrice des sports et responsable de la cellule de lutte contre les violences dans le milieu sportif « Signal-sports », a également participé au rendez-vous, précise le communiqué.
Le document indique que, concernant l’entraîneur cible des accusations des gymnastes, « le service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (SDJES) concerné, sous l’autorité du préfet de département, va être chargé de l’enquête qui permettra, le cas échéant, la prise d’une mesure d’interdiction d’exercer ».
En attendant la conclusion de l’enquête voulue par le ministère, la cadre impliquée va, quant à elle, « être reçue par la direction des sports et est susceptible de faire l’objet d’une suspension à titre conservatoire », précise le ministère.
Quelle a été la réaction de la FFG ?
James Blateau, qui avait refusé de répondre aux sollicitations de France Télévisions, a dit mardi, dans un communiqué, prendre « toute la mesure des témoignages » et apporter son « soutien entier aux victimes », rapporte l’AFP. « En conséquence, j’ai convoqué une réunion exceptionnelle du bureau exécutif de la fédération dès ce lundi [15 mai] afin d’échanger sur les mesures à engager », a-t-il ajouté.
Dans son communiqué, le ministère des sports souligne que le président de la fédération s’est engagé à mettre en œuvre des mesures nouvelles et complémentaires autour de quatre axes pour veiller à un meilleur respect des athlètes.
Concernant l’histoire de la gifle, « c’est une information qui tourne dans le milieu de la gym », a commenté James Blateau, auprès de l’AFP, confirmant avoir entendu cette histoire avant dimanche. « Ce qui n’a pas été dit dans le reportage, ce sont les conditions [de l’événement] », estime-t-il.
« Il n’a pas été dit que cette jeune fille avait 15 ans et demi, que c’était après une nuit à la rechercher partout et qu’elle était alcoolisée. Durant les Jeux olympiques, on fait autre chose que faire la fête. Ça fait beaucoup de choses quand même et ça n’excuse pas un mauvais geste. Mais quand même. » Il préfère laisser la main au ministère : « L’enquête nous dira s’il y a des problèmes, alors on conclura. Et, s’il n’y a pas de problème, on conclura aussi. »
Y a-t-il eu des précédents ?
La FFG était déjà sous pression. Début mai, le directeur technique du pôle France de gymnastique de Marseille, Vincent Pateau, a été condamné à six mois de prison avec sursis pour harcèlement moral à l’encontre de sportives mineures qu’il avait entraînées dans cette structure de haut niveau. Relaxé pour les faits qui lui étaient reprochés par deux des cinq plaignantes, M. Pateau a également été condamné à 10 000 euros d’amende par le tribunal correctionnel de Marseille.
A la suite de cette condamnation, le ministère a fait savoir, mardi, qu’il avait décidé de son « incapacité d’exercer toute fonction d’encadrement », c’est-à-dire une interdiction d’entraîner et de conseiller des athlètes. La justice, elle, n’avait pas prononcé d’interdiction d’entraîner.
Un ex-entraîneur du pôle de Marseille, Pierre Ettel, doit lui aussi être jugé pour harcèlement moral, le 7 novembre. Par ailleurs, un technicien ukrainien de l’équipe de France masculine, Vitaly Marinitch, a été remercié en janvier. « Il a eu un comportement qui ne nous convenait pas du tout, alcoolisme et cetera », décrit James Blateau. « Lors d’un stage, il aurait dit des choses qu’on ne dit pas à des jeunes filles », ajoute-t-il. « Il faut différencier l’exigence de la violence, pour reprendre les mots de la ministre », somme le président de la FFG.