Son sursis n’aura duré que dix jours. Sur la sellette depuis le 28 février, Corinne Diacre ne s’assiéra plus sur le banc des Bleues. Quatre ans après son parcours de quart-de-finaliste en France, la sélectionneuse tricolore ne disputera pas, cet été, sa deuxième Coupe du monde à tête de l’équipe de France féminine de football.
Réuni jeudi 9 mars, le comité exécutif (comex) de la Fédération française de football (FFF) a décidé de « mettre un terme à la mission » de celle dont le contrat avait été prolongé jusqu’à l’été 2024 par le président Noël Le Graët, aujourd’hui déchu. L’instance a suivi les recommandations du groupe de travail – composé de Marc Keller, Aline Riera, Laura Georges et Jean-Michel Aulas – qui avait été spécialement chargé de travailler sur le cas de Corinne Diacre. Et c’est au président intérimaire de la FFF, Philippe Diallo, qu’est revenue la décision finale. Dans son communiqué de presse, la FFF fait « le constat d’une fracture très importante avec des joueuses cadres » et « un décalage avec les exigences du très haut niveau ».
Le COMEX de la FFF a reçu les conclusions de la commission missionnée par Philippe Diallo pour dresser un constat s… https://t.co/GJVjASgDje
Ancienne internationale, Laure Lepailleur, interrogée par Le Monde, n’était pas confiante, mardi, quant au sort de l’ex-coach de Clermont en Ligue 2 : « Dans la situation actuelle, à quelques mois d’un mondial, ça me semble difficile que Corinne Diacre reste à la tête de l’équipe, expliquait la manageuse de la section féminine du Havre. Si encore il n’y avait qu’une seule joueuse concernée. Mais comme ça touche plusieurs joueuses qui ont, en plus, une importance colossale… »
Management inadapté
Depuis les trois coups de semonce successifs qui ont visé Corinne Diacre, vendredi 24 février, la situation était en effet devenue intenable. Première à tirer, la capitaine Wendie Renard annonce son retrait des Bleues et sa non-participation à la prochaine Coupe du monde, suivie dans la foulée par les deux attaquantes du PSG Marie-Antoinette Katoto et Kadidiatou Diani. Les trois vedettes reprochent à leur coach un management inadapté aux exigences du haut niveau et des ambitions d’une sélection nationale.
A un peu plus de quatre mois du Mondial australien (20 juillet-20 août), ces défections placent alors la FFF devant un dilemme : se séparer de Corinne Diacre, mais créer un précédent en donnant l’impression d’avoir cédé le pouvoir aux joueuses, ou la conserver, mais paraître insensible aux revendications et au mal-être des footballeuses ?
La première option s’impose d’emblée au sein du comex, mais l’instance décide de gagner du temps.
Pour suivre une procédure, ne pas avoir l’air d’agir dans l’urgence et au moins sauver les apparences, un groupe de travail est donc constitué. Ces derniers jours, ce dernier a mené plusieurs auditions avec différentes joueuses. Et il n’est pas difficile d’en deviner la teneur. Dimanche, lors de l’émission « Téléfoot », sur TF1, Kadidiatou Diani en avait donné un aperçu public :
« On est arrivé à un point de non-retour. Je parlerais de rupture. Il est important d’avoir du nouveau, tout simplement. Les filles n’en peuvent plus, même si elles ne s’expriment pas forcément. »
D’autant que le dialogue n’a entre-temps jamais repris entre les frondeuses et la sélectionneuse. « La Fédération française doit prendre des dispositions, nous, on a poussé un cri d’alarme, a-t-elle poursuivi. On manque réellement de professionnalisme, avec un staff assez restreint, c’est la sélectionneuse qui décide de son staff. »
Dans le communiqué de ce jeudi, la FFF prend d’ailleurs le soin d’avertir les joueuses que « la manière utilisée (…) pour exprimer leurs critiques n’était plus acceptable dans l’avenir ». L’instance propose aussi une nouveauté dans la gouvernance des Bleues avec la mise en place d’une « mission complémentaire entre le comex et le sélectionneur. »
Contre-attaque médiatique tardive
Corinne Diacre a aussi été auditionnée pendant deux heures mardi 7 mars. Jusqu’à présent silencieuse, elle a choisi de faire entendre sa voix par l’intermédiaire d’un communiqué de presse transmis à l’Agence France-Presse à la veille du comex. Mais sa contre-attaque médiatique a sans doute été trop tardive.
« Au regard du déchaînement médiatique honteux de ces derniers jours, je souhaite néanmoins réaffirmer publiquement que je suis pleinement déterminée à mener ma mission à bien et, surtout, à faire honneur à la France lors de la prochaine Coupe du monde », a-t-elle clamé. La patronne des Bleues a également évoqué « une opération de déstabilisation » et « une campagne de dénigrement qui stupéfie par sa violence et sa malhonnêteté ».
Peut-être une allusion indirecte à l’affaire Aminata Diallo, cette ancienne joueuse du PSG, proche de Katoto et de Diani, qui est accusée d’avoir organisé l’agression de son ex-coéquipière, l’internationale Kheira Hamraoui. Diallo, désormais joueuse de Levante, en Espagne, est mise en examen dans ce dossier, et donc présumée innocente. Depuis, que cela soit au PSG ou en équipe de France, les relations entre Marie-Antoinette Katoto, Kadidiatou Diani et Kheira Hamraoui sont tendues. Le retour en sélection de cette dernière lors du Tournoi de France, en février – juste avant le déclenchement du maelstrom qui a emporté Corinne Diacre –, n’a pas arrangé les choses.
Chaque jour de nouvelles grilles de mots croisés, Sudoku et mots trouvés.
Jouer
Il n’en faut pas plus pour que, dans l’entourage de Diacre, la thèse d’un coup monté soit mise en avant, s’appuyant sur des écoutes de la police judiciaire de Versailles réalisées en mai 2022 où l’on entend Diallo menacer la sélectionneuse lors d’une discussion avec son conseiller : « Corinne, t’inquiète pas c’est prévu. (…) T’inquiète pas, elle va vite sauter elle aussi, ils vont comprendre, il faut qu’elle dégage elle aussi. » Rien ne permet pour l’instant de lier les deux événements. D’autant plus que la Lyonnaise Wendie Renard, qui a lancé la fronde, est a priori étrangère à ce contexte parisien.
La question de sa succession
Maintenant que le sort de Corinne Diacre est tranché, la question de sa succession se pose. Et la FFF va devoir faire vite pour choisir son ou sa remplaçante. A l’inverse de la procédure autocratique de Le Graët, cette décision devrait, selon une source interne, être prise collectivement. Philippe Diallo a chargé la commission spéciale « d’auditionner, dans les plus brefs délais, les candidats au poste et de lui formuler ses recommandations ».
Dans un mois, les Bleues disputent deux matchs amicaux : contre la Colombie (le 7 avril) et contre le Canada (le 11 avril). D’après une source proche du dossier, « de nombreux entraîneurs ont déjà avancé leurs pions ».
Ex-coach des Lyonnaises et des Parisiennes, actuellement à Bordeaux, Patrice Lair s’est déclaré intéressé. Les noms de Gérard Prêcheur (en poste au PSG), de Sandrine Soubeyrand (coach du Paris FC) ou de Sonia Bompastor (coach de l’OL) reviennent aussi. Tout comme celui, plus surprenant, d’un entraîneur médiatique, le sélectionneur de l’Arabie saoudite Hervé Renard. Ce baroudeur du football masculin (Maroc, Sénégal, Zambie ou Côte d’Ivoire) est un spécialiste des sélections, vainqueur de deux Coupes d’Afrique des nations. Tombeur de l’Argentine, future championne du monde, lors de son premier match au Qatar, en novembre 2022, avec les Saoudiens, Renard serait intéressé par l’aventure, selon les informations de RMC Sport.
Un choix qui pourrait être fédérateur pour créer un élan avant la Coupe du monde. « Il est connu pour ses capacités de management et c’est un élément hyper important dans la gestion d’une sélection, encore plus dans le contexte actuel, analyse Laure Lepailleur. Associer son profil particulier avec un adjoint qui soit expert du foot féminin pourrait fonctionner. »
Malgré les turbulences et les incertitudes, Laure Lepailleur espère que le football féminin français sortira par le haut de cette situation délicate : « On peut parler de timing serré par rapport au Mondial, mais s’il devait se passer quelque chose, il vaut mieux que ça soit en amont que pendant. » Les Bleues ont peut-être évité leur Knysna.