Pour lui, c’est une fin de saison triomphale. Pour eux, il est temps qu’elle se termine. Johannes Boe a remporté, samedi 18 mars, à Oslo-Holmenkollen, la dernière poursuite de l’hiver. Le Norvégien, qui était déjà assuré de remporter la Coupe du monde de la spécialité et de terminer en tête du classement général, toutes disciplines du biathlon confondues, remporte là sa 15e victoire individuelle de la saison. Le cadet des frères Boe avait aussi décroché trois médailles d’or individuelles aux championnats du monde d’Oberhof. Son palmarès s’est également étoffé cet hiver de plusieurs victoires lors des épreuves de relais, dans lesquelles les équipes norvégiennes ont été dominatrices. Pour l’équipe de France masculine, en revanche, l’heure n’est pas à compter les accessits mais aux déchirements, malgré la 2e place de Quentin Fillon Maillet dans la course du jour.
A l’issue d’une saison sans succès individuel, les biathlètes français et leurs entraîneurs ont rendu publique leur rupture. Vendredi 17 mars, Vincent Vittoz et Patrick Favre, coachs des Bleus depuis cinq ans, ont annoncé leur départ en fin de saison, ne s’estimant « plus en phase avec [leur] athlètes ». « On sent qu’ils ne sont pas à même d’entendre certains de nos discours. On était prêt à continuer, clairement. Mais aujourd’hui, il y a une rupture », a affirmé Vincent Vittoz, champion du monde de ski de fond en 2005. L’Italien Patrick Favre, entraîneur de tir des meilleurs biathlètes tricolores, a enfoncé le clou : « On avait beaucoup d’idées [pour rebondir après une mauvaise saison] mais elles ne collent pas [avec celles des athlètes]. L’entraînement se base beaucoup sur la confiance. Aujourd’hui, on sent que cette confiance manque. Forcer les choses, ce n’est pas une bonne chose. »
« Faillite » des leaders
Les explications des deux coachs, d’une franchise assez rare dans le sport de haut niveau, où la communication est généralement très encadrée, ont ensuite ciblé plus directement deux athlètes. Vittoz a évoqué « la faillite » de Quentin Fillon Maillet et Emilien Jacquelin, présentés comme les deux leaders de l’équipe de France en début d’hiver. Les Bleus ne totalisent que six podiums individuels en Coupe du monde depuis le début de la saison : deux pour Fillon Maillet, trois pour Jacquelin, et un pour le jeune Eric Perrot.
« Quentin [Fillon Maillet], il n’a jamais voulu entendre les messages d’avertissement [disant que] ça ne serait pas une année comme les autres [après deux médailles d’or olympiques en 2022], affirme Vittoz. Il voulait montrer à tous ceux qui lui disaient que ça allait être une année plus difficile que, lui, ça ne l’atteindrait pas, parce que c’est une machine. Il s’est trompé un peu de lecture. On a essayé de le mettre en garde. »
Après sa deuxième place lors de la poursuite d’Oslo-Holmenkollen, Fillon Maillet a qualifié la situation de « changement difficile » qui l’« affecte beaucoup ». « Je comprends que ce soit émouvant et la réaction des coachs, a-t-il dit au micro de La Chaîne L’Equipe, samedi. J’aurais aimé que les choses se fassent plus en douceur. On a besoin d’un changement de discours. » Fillon Maillet, qui a obtenu ses meilleurs résultats, dont cinq médailles au Jeux de Pékin, sous la direction du duo Vittoz-Favre, s’est dit très reconnaissant du travail accompli.
Vendredi, Vittoz a également exprimé son impuissance face aux difficultés d’Emilien Jacquelin, qui a mis un terme anticipé à sa saison. « Emilien [Jacquelin] est un athlète dépressif depuis un an et demi, qu’on a accompagné, déclare l’entraîneur français. On a fait plus que ce qui était possible, on a mis toute notre énergie, peut-être trop à certains moments, peut-être qu’on a trop cherché à essayer de le ramener dans le droit chemin. On n’était peut-être pas les bonnes réponses non plus, mais on l’a maintenu autant qu’on a pu. »
Samedi matin, Jacquelin, qui n’est pas en Norvège avec l’équipe de France ces jours-ci, a réagi aux propos de son entraîneur sur Twitter. « Affirmer que quelqu’un est dépressif ou malade est du ressort d’un médecin, écrit le biathlète. L’annoncer publiquement sans l’accord de la personne trahit le secret médical. La dépression est un sujet important, difficile, s’en servir pour expliquer un manque de performance est maladroit. Ce sujet touche des hommes et des femmes avant de parler d’athlètes ou de niveau de tir. Et ce n’est pas rendre service à celles et ceux qui en souffrent que de pointer du doigt et faire des amalgames sur un athlète en défaillance. »
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En conclusion de son message Jacquelin estime que les explications de Vittoz étaient « probablement une maladresse due à trop d’émotions », mais affirme que la dépression est un « sujet est trop important pour ne pas en parler ».