lundi, octobre 28

Il y a deux ans, la journaliste Hélène Risser a perdu son fils âgé de 21 ans.
Elle témoigne de ce drame horrible dans un livre poignant : « Après Arthaud ».
Toujours droite et digne, elle s’est confiée à Audrey Crespo-Mara ce dimanche 27 octobre dans « Sept à Huit ».

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Sept à huit

Comment survivre à ce qui peut arriver de pire dans une vie, la mort de son enfant ? Hélène Risser, qui a perdu son fils à l’âge de 21 ans, croyait que c’était impossible. Mais plutôt que de sombrer, elle s’est accrochée à une petite lueur de vitalité, sa fille et son compagnon. Sa survie passe aussi par un livre poignant, « Après Arthaud » (Ed L’Observatoire), celui d’une résistante face à l’irréparable. 

« Je venais dans la chambre de mon fils, raconte-t-elle à Audrey Crespo-Mara dans la vidéo en tête de cet article, replay du « Portrait de la semaine » diffusé ce dimanche dans « Sept à Huit ». Je vois qu’il est dans la même position que celle où je l’avais laissé la veille puisque je l’ai vu se coucher (…) J’essaie de le ranimer. J’appelle son père. Sur le moment, je ne peux pas me dire que mon fils est mort. Je vois bien que ça ne va pas, mais je lui donne des claques (…) J’ai l’impression qu’il faut que je fasse quelque chose pour être utile, pour le sauver parce qu’on est habité par ça. Et puis, les secours arrivent et très rapidement, au bout de quelques minutes, ils me disent que mon fils est mort. Qu’il l’est sans doute depuis plusieurs heures déjà, donc il n’y a plus rien à faire », détaille-t-elle. 

J’avais l’impression d’être tombée dans un trou.

Hélène Risser

Dès cette annonce, Hélène s’effondre sur le parquet de son salon, submergée par un sentiment brutal : la culpabilité qui prend très vite toute la place. « Je pense que c’est ma faute », lâche-t-elle, parce que je suis une mère et qu’une mère doit protéger son enfant ». Et de préciser : « Je me sens terriblement coupable parce qu’une mère se sent responsable de la vie de son enfant et donc s’il meurt, c’est que logiquement, elle est coupable ». 

De cellules post-traumatiques en séances de psy, Hélène va alors suivre un chemin de croix où il faut réapprendre à vivre. « J’avais l’impression d’être tombée dans un trou, que j’avais des gravats au-dessus de moi, que j’avais perdu la lumière et qu’il y avait des gens autour de moi qui essayaient de me tendre la main, qui essayaient de me faire sortir des gravats, mais qui n’y arrivaient pas », dit-elle. 

Et pendant qu’elle continue de vaciller, son compagnon reste droit et sa fille semble forte. « J’ai l’impression qu’elle réussit là où moi, je n’y arrive pas », pense-t-elle, mais elle comprendra assez vite que c’est un leurre. En attendant, elle va devoir lutter pour ne pas être engloutie. Cela commence dans la maison où tout lui rappelle son fils. « Le dernier soir, mon fils a ramené des briques de jus d’orange qu’il a posées dans la cuisine, elles sont restées à la même place pendant des mois (…) Je ne pouvais pas y toucher et en même temps, elles me font mal. Il y a les chaussures, les vêtements, tout devient un problème », énumère-t-elle.

Poser ses yeux sur les résultats de l’autopsie

Hélène va entamer son processus de deuil par le corps. « Déjà, c’est manger. Marcher aussi. Tout le monde veut m’emmener me promener parce qu’on sait bien que marcher, c’est mettre un pied devant l’autre. Symboliquement, c’est continuer à avancer. Au début, j’en suis incapable », se souvient-elle. Et puis viennent les funérailles. Il faut choisir avec soin la musique, les photos et devoir prendre la parole. « C’est très important. J’ai envie de dire qui est mon fils parce que c’était quelqu’un de très vivant, de très actif, de très curieux, de très aiguisé, qui avait une grande sensibilité », lance-t-elle. Pour sa sauvegarde, Hélène participe aussi à des groupes de parents endeuillés. « On vit la même chose, et en fait, j’ai l’impression que seuls ces gens peuvent me comprendre. Quand je pense à mon fils, je pense à leurs enfants et donc ça me met dans un collectif, je suis moins seule », souligne-t-elle. 

Pour autant, deux ans après, Hélène ne peut toujours pas entrer dans la chambre d’Arthaud, toucher à ses affaires. « Rien n’a bougé. Pour l’instant, pour nous, c’est impossible. Quand les enfants de mon fils viennent à la maison, ils vont dans la chambre, elle revit un peu. Ma fille y va de temps en temps », raconte-t-elle. Autre épreuve qu’il va falloir surmonter, poser ses yeux sur les résultats de l’autopsie. Pour comprendre. Hélène marque une pause et prend une grande respiration, comme si elle venait à manquer d’oxygène. Et puis, elle se lance : « Les résultats sanguins disent qu’il est mort de plein de choses qui indépendamment ne l’aurait pas tué, mais qui misent ensemble l’ont tué », souffle-t-elle. Dans son livre, elle écrit : « de l’alcool, mais pas trop. Des médocs, mais pas trop. Cette merde de Subutex (un produit de substitution aux opiacés) qui peut déclencher un arrêt cardio-respiratoire… »

La drogue est donc la seule coupable ? « Oui, sans doute, mais ce n’est pas une explication parce que quelqu’un qui consomme ça, pourquoi l’a-t-il fait ? Est-ce qu’il était déprimé ? Est-ce qu’il s’est mis en danger volontairement ? Pourquoi ? », s’interroge-t-elle. Pour Hélène, la moindre tentative de réponse ouvre d’autres questions, et cela « ouvre la porte de la colère » contre les psychiatres qui ont refusé de voir la gravité de son mal, contre cette clinique où Arthaud avait fait une cure de désintoxication et qui l’a laissé sortir. Mais elle veut garder cette colère à distance, « parce qu’elle n’aide pas dans le deuil »

Aujourd’hui, Hélène tente de se détacher du passé. « Ce qui m’aide à vivre, c’est d’être dans le présent. Je vais plus apprécier les moments avec ma fille, je vais mieux les vivre (…) Et puis, le livre a donné du sens à ma souffrance. Faire comprendre à ceux qui n’ont pas vécu ça, ce que ça fait. Ça peut paraître inhumain, mais c’est une expérience de la vie », assure-t-elle. Car dans une société où la mort est taboue, il lui parait bien étrange que les gens vivent « comme si tout ça n’existait pas ». 


Virginie FAUROUX | Propos recueillis par Audrey Crespo-Mara

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