Découverte de ce début de siècle ou annonce prématurée ? La prudence est de mise depuis la publication, le 8 mars dans Nature, de la recette d’un matériau révolutionnaire, un supraconducteur à température ambiante, par une équipe américaine de l’université de Rochester. La supraconductivité est la disparition de toute résistance électrique dans un matériau, donc la fin des pertes électriques, ouvrant des perspectives d’applications infinies. Pour l’instant, elle n’a été observée qu’à des températures en dessous de zéro. Elle est même utilisée vers – 196 degrés Celsius pour créer les champs magnétiques intenses des IRM ou déployer quelques câbles dans des réseaux de transport électrique. Mais le Graal serait de disposer de tels matériaux à des températures plus clémentes d’une vingtaine de degrés.
C’est ce que prétend avoir découvert l’équipe de Ranga Dias, physicien à l’université de Rochester. Son mélange d’hydrogène, d’azote et de lutétium est supraconducteur à 20,8 degrés Celsius, mais à une pression de 10 000 bars, soit environ cent fois la pression à 1 000 mètres de profondeur. Cela peut sembler beaucoup, mais c’est une centaine de fois moins qu’une série de travaux récents qui ont étudié des matériaux de cette famille. Cette pression rend évidemment compliqué le déploiement d’applications à grande échelle, mais le résultat n’en demeure pas moins important et… controversé.
Ranga Dias est, en effet, déjà bien connu pour d’autres travaux contestés. En septembre 2022, alors même que l’article qui vient de paraître était en cours d’examen par Nature, cette même revue a rétracté son article d’octobre 2020 qui avait déjà battu des records. Le chercheur avait présenté un mélange de carbone, de soufre et d’hydrogène supraconducteur à 15 degrés Celsius et une pression de 267 gigapascals (un gigapascal ou GPa équivaut à 10 000 bars). Les éditeurs du journal ont relevé que la méthodologie utilisée par les chercheurs « était remise en cause » à la suite de plusieurs critiques extérieures. Mais l’équipe n’a pas accepté cette décision et, il y a un mois, a déposé en préprint une nouvelle expérience, confirmant presque ces premiers travaux : une supraconductivité à − 13 degrés Celsius et 133 GPa.
Particularités non expliquées
Pour ne rien arranger, l’un des auteurs de cet article rétracté, mais non cosignataire du dernier article dans Nature (il est tout de même remercié), a vu lui aussi une de ses publications de 2009 rétractée en 2021.
En 2017, un autre travail cosigné par Ranga Dias, prétendant avoir découvert un autre Graal de la chimie, de l’hydrogène métallique, avait été très contesté par ses pairs.
Il vous reste 45.22% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.