Les mathématiciens ont coutume de scinder leur profession en deux groupes : ceux qui travaillent à la craie, sur tableau noir, les théoriciens ; et ceux qui œuvrent au feutre, sur des supports plastifiés, plutôt adeptes des maths appliquées. Le Japonais Tadashi Tokieda appartient à une troisième catégorie, dans laquelle il n’est pas impossible qu’il figure seul. Ses instruments de travail, il les sort d’une boîte de biscuits de riz japonais – « toujours la même marque », précise-t-il. Une drôle de structure en plastique, à l’apparence tantôt ronde, tantôt pointue, selon le regard que l’on porte sur lui. Des lacets, des élastiques ou des trombones qu’il manipule comme un prestidigitateur. Des feuilles de papier, coupées, pliées, nouées, rejetons fantasques des origamis de son enfance. Ou encore une pièce géante, qu’il fait tourner devant vous sur une table de l’Institut Henri-Poincaré, temple parisien de la recherche en maths, afin d’approcher à sa manière la « singularité en temps fini », un thème classique de la discipline.
Tadashi Tokieda est à Paris. Invité pour trois mois par le laboratoire de mathématiques de l’Ecole normale supérieure, le professeur de l’université Stanford, en Californie, y donne un séminaire hebdomadaire. « Une tasse chante », « Pierre, papier, ciseaux, en probabilité », « Enigme de l’évolution » : les titres de ses interventions ont de quoi surprendre, en ces lieux plutôt habitués aux énoncés abscons, insaisissables pour le commun des mortels. Ici, pourtant, personne ne peut s’en étonner, tant Tadashi Tokieda fait figure de star de la discipline. Pas à la manière de Terence Tao, médaillé Fields, éblouissant perceur de coffres-forts mathématiques, lui aussi passé à Paris ces dernières semaines. « Mais, s’il devait y avoir une médaille Fields de la popularisation des mathématiques, il l’aurait depuis longtemps », s’enthousiasme Martin Andler, professeur émérite à l’université Versailles-Saint-Quentin et infatigable défenseur d’une approche élargie et joyeuse de la discipline. « La façon dont il part d’objets tout simples pour révéler des mathématiques profondes est unique au monde, salue de son côté Etienne Ghys, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, autre maître de la vulgarisation et collaborateur du cahier Science & médecine. Comme sont uniques ses conférences, qui tiennent plus du spectacle de magie que de l’exposé didactique. Sauf que lui explique ses tours et qu’il le fait par les maths et la physique. C’est fascinant. »
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