Enfin arrive la saison où narcisses et jonquilles commencent à pointer leurs trompettes dorées vers le ciel, claironnant l’arrivée du printemps. Cette allure de trompettes en concert est due autant à leur couronne centrale en forme de tube, formée de pétales soudés les uns aux autres, qu’à l’inclinaison caractéristique de la tête florale sur un côté qui les différencie d’autres liliales dont la corolle reste droite, perchée au sommet de la tige, comme les tulipes.
Lorsqu’elle germe de son bulbe et sort du sol, la tige des narcisses pointe initialement dans une direction verticale ; la force exercée par sa croissance et sa rigidité lui permettent de repousser quelques cailloux qui entraveraient son chemin vers la surface. Un couple d’ingénieurs de Long Island (New York, Etats-Unis) a évalué la force nécessaire pour faire ployer des tiges de narcisses jaunes de différentes longueurs, en appliquant une contrainte à leurs deux extrémités. Dotée d’une rigidité dix fois plus grande que celle des pissenlits, une tige de narcisse de quelques centimètres oppose une force de l’ordre de 10 newtons, ce qui permet aux jeunes pousses de traverser le sol gelé en hiver.
Les tiges s’allongent ensuite ; leur croissance est nettement plus rapide sous un couvert végétal, ce qui laisse penser qu’un processus d’évitement de l’ombre favorise leur pousse afin de « s’échapper » vers la lumière. Un peu avant la floraison, la tige florale s’incline à la jonction avec la fleur, d’abord à 90°, avant de se redresser vers un angle de 45°. Pour savoir si cette inclinaison s’effectuait dans une direction préférentielle, le couple de Long Island a recensé l’orientation de 193 fleurs de narcisses réparties le long d’une route de 3 kilomètres, ainsi que la position des constructions du voisinage qui faisaient éventuellement écran à la lumière pour chacune d’elles. La plupart des fleurs recensées (60 %) étaient tournées vers l’est ; de plus, les fleurs ne pointaient jamais vers une direction où la lumière était occultée.
Face à la lumière
Ce phototropisme apparent des jonquilles, dont les mécanismes physiologiques précis ne sont pas encore connus, diffère de celui des tournesols et pissenlits dont la tête florale tourne au cours de la journée pour suivre la course apparente du soleil. Bien que favorisant une illumination maximale, la direction reste ici fixe au cours de la journée… sauf lorsque les fleurs se retrouvent chahutées par un coup de vent.
La prise au vent des narcisses a été quantifiée il y a vingt ans par deux chercheurs de l’université de Duke (Caroline du Nord, Etats-Unis). Comme les fleurs penchent d’un côté, l’action du vent exerce une contrainte de torsion et de flexion sur les tiges. En raison de leur structure et de leur forme, dont la section en double ogive présente une légère asymétrie hélicoïdale le long de l’axe, les tiges sont plus promptes à la torsion qu’à la flexion. Sous un souffle modéré, elles se tordent momentanément, laissant la fleur tourner le dos au vent, ce qui réduit son emprise de 30 %. Le maintien érigé est, en revanche, préservé, tant que la bise n’est pas trop violente, par la rigidité relativement élevée des tiges, pleines à leur base et creuses à leur extrémité supérieure. Lorsque la force des rafales croît, la corolle externe des fleurs se rabat en cône de plus en plus serré autour de la couronne interne, minimisant encore la prise au vent et évitant que cette dernière endommage la fleur.
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