Des chimpanzés qui cassent des noix avec des pierres en Afrique de l’Ouest, des capucins qui fracassent des cailloux au Brésil, des macaques qui martèlent des crustacés pour en tirer la substantifique moelle en Thaïlande ou qui produisent eux aussi des éclats évoquant des pierres taillées… C’était inévitable. A force d’observer chez les singes petits et grands des cultures qu’ils définissent comme des innovations comportementales transmises entre générations, les primatologues ne pouvaient que s’interroger sur l’origine de celles-ci. Et faire le pont avec leurs collègues archéologues, rompus à l’étude des artefacts anciens.
C’est ainsi qu’est née, il y a un peu plus d’une vingtaine d’années, une nouvelle thématique scientifique, l’« archéologie des primates non humains », à la frontière de plusieurs disciplines qu’elle contribue à irriguer en leur apportant des idées et des terrains de jeu renouvelés. Mais aussi en posant des questions sur l’interprétation de certains sites archéologiques. C’est à nouveau le cas dans un article publié le 10 mars dans Science Advances décrivant la façon dont des macaques thaïlandais produisent par accident, en cassant des noix, des éclats « presque indistinguables » des plus anciens ayant été produits intentionnellement par nos ancêtres.
Le primatologue Christophe Boesch (Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste, à Leipzig) est un des pionniers de cette approche transdisciplinaire. Depuis des décennies, il étudie les chimpanzés de la forêt de Taï, en Côte d’Ivoire, et notamment la façon dont ils se transmettent l’usage d’outils en pierre pour casser différentes noix, « dont celles de panda, les plus dures ». Il a mis en évidence la dimension culturelle de ces pratiques en constatant notamment que les chimpanzés à l’est d’une rivière traversant cette forêt n’utilisent pas ces outils de pierre, alors que le matériel lithique y est tout aussi disponible qu’à l’ouest. « La rivière trace comme une frontière culturelle », constate le primatologue.
« J’ai alors essayé de voir s’il était possible de trouver dans cette forêt humide des cailloux anciens, pour déterminer si les chimpanzés usaient des mêmes techniques par le passé », raconte-t-il. Au début des années 2000, il contacte le préhistorien Julio Mercader (université de Calgary) en vue d’une fouille archéologique en forêt de Taï. « Cela a été compliqué la première année, car le radar censé détecter des pierres dans le sol renvoyait des faux signaux et quand on creusait, on tombait sur des poches d’eau », se souvient-il.
Il vous reste 85.95% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.