Il y a près d’un siècle, quand les premiers pilotes d’avion se sont aventurés dans les cieux du Moyen-Orient, ils ont eu la surprise de découvrir parfois d’étranges lignes et formes géométriques zébrant les déserts en contrebas. Leur forme évoquait celle de cerfs-volants, tracés sur plusieurs centaines de mètres, ce qui a valu à ces structures énigmatiques la dénomination anglo-saxonne de « kites ». Depuis le sol, on ne discernait guère que de longs murets de pierre sèche de moins d’un mètre de haut et des sortes d’enclos, peu palpitants pour les archéologues.
Ces kites des zones arides sont donc tombés dans l’oubli jusqu’à la démocratisation des images par satellite grâce à Google Earth, qui a permis leur repérage « en fauteuil », sur écran. « Il y a dix ans, on en avait dénombré environ un millier. Aujourd’hui, on en est à plus de 6 600, en Jordanie, en Arabie saoudite, mais aussi en Arménie et jusqu’au Kazakhstan », énumère l’archéologue Rémy Crassard (CNRS, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon-II). Dans un article publié le 17 mai dans PLOS One, il présente avec une équipe internationale une découverte spectaculaire concernant deux de ces kites, en Jordanie et en Arabie saoudite : des gravures tracées sur des pierres trouvées à proximité représentent, à l’échelle, ces constructions qui ne sont désormais plus énigmatiques.
Les fouilles conduites ces dernières années ont, en effet, révélé que les kites étaient des « mégapièges », des nasses de pierre permettant de rabattre le gibier vers une extrémité close entourée de fosses, « où les animaux terminaient leur voyage », dit Rémy Crassard. Ces petites cellules circulaires, parfois profondes de 3 mètres, étaient passées inaperçues, car l’effondrement des murets fermant le piège et le sable les avait comblées.
Plan gravé de la nasse
C’est en 2015 que des gravures représentant ces mégapièges ont été découvertes, dans le nord de l’Arabie saoudite et dans le sud-est de la Jordanie. Dans les deux cas, des blocs présentaient en défonce le plan de la nasse la plus proche, en respectant les échelles et avec une stupéfiante fidélité par rapport au terrain.
« La découverte de ces plans est d’autant plus incroyable que l’entièreté de ces structures n’est visible que depuis les airs. Ils sont la projection de ce qui était dans l’esprit de la personne qui a conceptualisé le kite », souligne Rémy Crassard. Il note que, même avec un GPS, faire un tel relevé en arpentant le site reste un défi. Prouesse d’autant plus notable que les datations donnent une ancienneté de neuf mille ans pour le site jordanien, et de huit mille pour le saoudien – soit cinq à six millénaires avant les premiers plans de bâti réalisés par les Mésopotamiens.
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