Nous autres, espèce d’euarchontoglires – groupe comprenant les mammifères placentaires –, percevons le monde d’une façon qui nous est propre. Mais qu’en était-il des dinosaures, maîtres des terres émergées entre 240 et 66 millions d’années, balayés (hormis les oiseaux) par une météorite schumpétérienne ? C’est ce que nous propose de découvrir Jean Le Loeuff, dans un ouvrage qui nous plonge « Dans la peau d’un dinosaure ».
Le paléontologue, directeur du Musée des dinosaures d’Espéraza, dans l’Aude, s’appuie pour ce faire sur la littérature scientifique la plus récente. Son ton n’a pourtant rien d’académique, trouvant la juste distance entre érudition et badinerie.
Pour tenter de ressusciter l’appareil perceptif des dinosaures, le plus pertinent est d’abord de décrire leur cerveau. Mais les frontières de celui-ci, qu’on en fasse des moulages ou des scans grâce aux rayons X, sont rendues floues par les méninges qui l’entourent, comme un pâté en croûte : « Plus la croûte est épaisse, moins on aura de détails sur la forme du pâté à l’intérieur », prévient Jean Le Loeuff. C’est bien dommage, mais cela n’interdit pas de s’interroger sur leurs performances intellectuelles et de tenter des comparaisons avec les crocodiles et les oiseaux, leurs plus proches cousins. Le quotient d’encéphalisation place les petits dinosaures carnivores au pinacle des « intellos de la dinosauritude ».
L’émission méthanisée du pet dinosaurien
Steven Spielberg avait tort de dépeindre son Tyrannosaurus rex affublé « des capacités olfactives d’un malade du Covid », rectifie le paléontologue : les héros de Jurassic Park n’auraient pas échappé à ses bulbes olfactifs. Ces animaux devaient eux-mêmes produire et pourquoi pas communiquer par les odeurs – à l’instar du caïman dont les glandes paracloacales diffusent une fragrance de… citronnelle. Ce chapitre évoque dans le même mouvement le pet dinosaurien, dont l’émission méthanisée pourrait avoir contribué au réchauffement du climat du mésozoïque.
La vision révèle aussi son lot de surprises. Le vélociraptor – « une vraie teigne » – semblait être particulièrement bien doté, avec ses grands yeux binoculaires, les canaux semi-circulaires de l’oreille interne et le flocculus cérébral coordonnant vision et mouvement. L’oreille interne, encore elle, accessible au CT-Scan, trahit aussi les facultés auditives de nos bestioles, lesquelles semblent adaptées aux capacités de certaines d’entre elles à émettre des sons. Un lien vers une application de réalité augmentée permet même d’écouter le chant du parasaurolophus au fond des bois. Au tout début, rappelle Jean Le Loeuff, en l’absence d’oiseaux, de grenouilles, de mammifères et d’insectes, le paysage sonore du trias devait cependant être « relativement sinistre ».
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