Les primates non humains ne sont pas les seuls animaux dont le passé peut être appréhendé par les techniques développées par l’archéologie. Même lorsqu’elles n’utilisent pas d’outils susceptibles de résister au temps, certaines espèces peuvent laisser des traces qui sont autant d’archives à décrypter.
Au début des années 1990, débarquant en Antarctique, Steven Emslie a ainsi immédiatement été frappé par les monticules de galets amassés par les manchots Adélie dans des colonies abandonnées. « J’ai une formation en archéologie et j’ai donc examiné ces monticules comme un archéologue le ferait pour un site culturel, raconte le chercheur, aujourd’hui professeur de biologie marine à l’université de Caroline du Nord (Wilmington). Je voulais savoir s’ils contenaient des os et d’autres tissus préservés qui pourraient être analysés à travers le temps, et cela s’est révélé exact. »
De là est né son projet de « paléohistoire des manchots », qui se poursuit encore aujourd’hui – il est rentré il y a quelques jours d’une mission en Antarctique. L’objectif est de mettre à profit diverses méthodes archéologiques pour décrire le passé de ces animaux et l’évolution de l’écosystème dans lequel ils vivaient.
Steven Emslie a « appliqué ces méthodes pour creuser dans les monticules et récupérer des restes organiques, notamment de proies de manchots, os de poissons, otolithes et “becs” de calamars. [Il] fai[t] appel à la datation au radiocarbone pour déterminer l’histoire de l’occupation passée par les manchots ». « J’utilise maintenant les tissus pour des analyses d’isotopes stables afin d’évaluer le régime alimentaire et les lieux de recherche de nourriture dans le passé, en particulier la modification de ces lieux avec le changement climatique », précise le chercheur, qui s’intéresse à deux autres espèces de manchots, le papou et le manchot à jugulaire, eux aussi momifiés au milieu du guano par les rigueurs antarctiques.
Changement alimentaire
Le premier à avoir eu la prescience de l’intérêt de ces archives naturelles congelées est peut-être le météorologue belge Louis Bernacchi. Le 17 février 1899, alors qu’il s’apprête à prendre part au premier hivernage sur le continent antarctique, il est frappé par les milliers de cadavres de jeunes manchots tués par un coup de froid sur le cap Adare, à l’entrée de la mer de Ross, qui abrite aujourd’hui encore la plus vaste colonie de manchots Adélie. « Dans des milliers d’années, si cette espèce devait s’éteindre, ces restes gelés et recouverts de débris seront la preuve de ce qui a un jour existé dans ces régions gelées », écrit-il dans son journal.
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