En 2007, la goélette Tara avait dérivé pendant cinq cent sept jours sur la banquise arctique, sur les traces de Fridtjof Nansen. Ce Norvégien avait fait de même sur son voilier Fram en 1893, dans l’espoir d’être le premier à atteindre le pôle Nord. « Il a raté son coup, mais en est sorti vivant », raconte Romain Troublé, directeur général de la Fondation Tara Océan. Toujours aimantés par l’Arctique, l’équipe de Tara et ses partenaires scientifiques ont imaginé un nouveau navire spécifiquement conçu pour dériver avec les glaces et étudier l’évolution de cet écosystème unique sous l’effet du réchauffement, au cours des prochaines décennies.
La mise à l’eau de Tara Polar Station est prévue en septembre 2024, après un chantier de dix-huit mois par les Constructions mécaniques de Normandie à Cherbourg, dont le lancement a été annoncé le 17 avril. Le premier hivernage aura lieu dans un fjord groenlandais, en guise d’« échauffement » avant la première dérive polaire, prévue à partir de septembre 2025. Elle débutera au nord de la Russie, vers le 140e méridien est, au-delà de 82 degrés nord. Le navire sera alors piégé par les glaces, qui l’entraîneront avec elles vers l’ouest, à une vitesse de 10 kilomètres par jour, pendant quatre cents jours.
« Notre programme a été de créer une sorte de Station spatiale internationale [ISS] du pôle Nord, qui fera plusieurs dérives d’ici à 2045, période à laquelle les rapports du GIEC prévoient la disparition de la banquise arctique en été », précise Romain Troublé. Il note que, jusqu’alors, les expéditions scientifiques en Arctique étaient principalement centrées sur des questions de physique, de changement climatique, de tracé des frontières des zones maritimes. « Il y a un vrai manque de connaissances sur la biologie », que la station polaire flottante se propose de combler.
Respecter le code polaire
Le projet est un partenariat public-privé, associant 40 laboratoires de 15 pays, financé par l’Etat français à hauteur de 60 %, pour un coût de conception et de construction de 20 millions d’euros, et des frais de fonctionnement récurrents de 2,5 à 3 millions d’euros par an. Des montants que Romain Troublé, qui cherche encore des mécènes pour boucler les 5 % manquants du budget, compare aux quelque 150 millions d’euros de l’expédition Mosaic (de septembre 2019 à octobre 2020) à bord du Polarstern, le brise-glace de recherche de l’institut allemand Alfred-Wegener.
Tara Polar Station, navire de marine marchande battant pavillon français, a été conçu avec l’architecte Olivier Petit, le cahier des charges insistant sur la plus faible empreinte environnementale possible. Le code polaire pose un impératif de protection de l’environnement pour les activités conduites sur la banquise. En été, des panneaux solaires produiront 20 % de l’énergie nécessaire, mais en hiver l’essentiel sera fourni par une huile de friture réoxygénée, assurance-vie pour résister à des températures pouvant descendre à − 52 °C. Fumées et effluents divers seront également traités, pour éviter, dans la mesure du possible, de perturber l’écosystème que les scientifiques doivent étudier.
Il vous reste 52.76% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.