Histoires naturelles : pourquoi décoloniser les jardins botaniques ?

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Alors que beaucoup de musées d’histoire naturelle européens s’attellent à « décoloniser » les histoires naturelles, deux livres importants viennent éclairer les enjeux de ce débat. Dans L’Empire de la nature. Une histoire des jardins botaniques coloniaux (fin XVIIIe siècle-années 1930) (Champ Vallon, 380 pages, 26 euros), Hélène Blais rappelle avec force combien ces institutions coloniales relèvent de deux logiques pas toujours compatibles.

D’abord conçus comme des jardins potagers utiles à l’approvisionnement des colonies, comme au Cap (actuelle Afrique du Sud) en 1652, les jardins botaniques se placent peu à peu au centre d’une entreprise de collecte et d’acclimatation des espèces, puis deviennent des « outils pratiques de gouvernance coloniale, dans une perspective d’occupation territoriale permanente ». A peine arrivés en Algérie, les Français créent en 1831 un jardin à Alger, à la fois ferme et jardin d’essai, constituant une véritable « pépinière du gouvernement ».

Visant l’amélioration des environnements, le jardin botanique renvoie à une ingénierie coloniale et, par sa dimension récréative comme parc urbain, doit manifester la supériorité de la présence européenne. Les jardins s’intègrent à une mise en valeur économique des ressources coloniales. Mais cette problématique économique n’est pas la seule : elle se double d’une dimension savante.

Les Britanniques vont encourager une vision d’ensembles hiérarchisés et structurés, avec des départements botaniques qui se ramifient en plusieurs jardins et multiplient les expérimentations. L’autrice relativise le rôle centralisateur des jardins métropolitains, représentation fondée sur le modèle britannique.

A Paris, en effet, le Muséum national d’histoire naturelle est longtemps resté à distance des milieux coloniaux, voire méfiant à leur égard, et ne représente pas « un organe dédié à la botanique coloniale », ce qui précipitera la création, en 1899, du Jardin colonial. Les activités scientifiques de chaque jardin, qui tournent autour de l’identification de nouvelles espèces, de classification, s’organisent à partir de différents équipements : l’herbarium (lieu de conservation des plantes séchées), la bibliothèque, le laboratoire ou le musée.

Captation des savoirs vernaculaires

Définis comme des « zones de biocontact », les jardins s’appuient sur une captation des savoirs vernaculaires à travers la mobilisation d’experts locaux (paysans, médecins, esclaves, jardiniers) qui restent le plus souvent anonymes et réduits au statut d’informateurs dans les articles, établissant un partage entre science européenne et savoirs locaux. De plus en plus dépendant d’une rentabilité économique, ce rôle scientifique se marginalise lorsque la science botanique analytique perd de son prestige dans la première moitié du XXe siècle.

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