« Go ! » A ce signal donné par la skippeuse Emmanuelle Périé-Bardout, deux hommes-grenouilles basculent simultanément, de part et d’autre du canot pneumatique qui les a emmenés sur leur site de plongée, non loin du phare de la pointe du Vieux-Fort, à l’extrémité sud de la Guadeloupe. Après un bref conciliabule, les plongeurs disparaissent sous la surface. Peu après, un autre binôme fait la même culbute et se laisse choir, la nuque la première et les palmes en l’air, dans les flots indigo de la mer des Caraïbes. La navigatrice bretonne et son coéquipier s’immergent à leur tour, laissant l’embarcation sous la responsabilité de deux membres d’équipage.
Une dizaine de kilomètres au sud du phare, l’archipel des Saintes se détache sur l’horizon. Au nord et à l’est, dominées par le sommet volcanique de la Soufrière, en sommeil depuis son éruption phréatique de 1976, les montagnes de l’île de Basse-Terre, couvertes d’une dense végétation, surgissent du rivage. A l’ouest, du bleu à perte de vue. Mais contrairement aux touristes qui s’adonnent à diverses activités nautiques dans ce cadre idyllique, l’équipe emmenée par Emmanuelle Périé-Bardout et son époux, Ghislain Bardout, responsable de l’expédition d’exploration sous-marine Deep Life (« vie profonde »), a un programme de travail bien rempli.
L’imposant volume de matériel qu’emportent les plongeurs en témoigne : entre les propulseurs sous-marins et les scaphandres à circuit fermé – plus adéquats pour l’étude de la faune sous-marine, car ils ne relâchent pas de bulles –, leur encombrant barda pèse près d’une cinquantaine de kilos. De quoi leur permettre d’atteindre, en quelques minutes, des profondeurs inhabituelles pour des scientifiques. Inutile, même dans ces eaux translucides, de tenter de les suivre du regard depuis la surface. « Nous allons descendre à 120 mètres aujourd’hui et collecter des échantillons de gorgones, de coraux noirs, de coraux mous et d’éponges », avait résumé Ghislain Bardout en anglais, lors du rituel quotidien du briefing de plongée, quelques minutes avant que l’équipe prenne place à bord du Zodiac. Apparentées aux coraux, les gorgones sont ces organismes en forme d’éventails très ramifiés. Mais l’heure n’est pas à la poésie. « L’objectif prioritaire est de rester en sécurité », rappelle le leader de cette mission scientifique internationale à son auditoire, attentif et concentré pendant le long énoncé des consignes techniques.
Partie de Concarneau en mars 2022 à bord du Why, une goélette en aluminium de 19,50 mètres de long, l’expédition Deep Life s’est donné pour objectif d’étudier, en différents points du globe, les écosystèmes mésophotiques, situés entre 30 et 200 mètres sous la surface des océans, afin d’évaluer les impacts de l’activité humaine et du changement climatique sur ces milieux encore méconnus. Et, ainsi, de contribuer à leur protection. Dans cette zone, uniquement accessible, pour sa partie basse, aux plongeurs professionnels les plus aguerris et aux intrépides chasseurs de records, la pression devient difficilement supportable, tandis que seule une faible lueur bleutée parvient encore de la surface. L’environnement est plongé dans un crépuscule plus ou moins sombre selon la transparence de l’eau. Une pénombre intermédiaire entre la clarté de la surface et les ténèbres perpétuelles des abysses.
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