Le professeur Régis Aubry est corapporteur de l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui, en septembre 2022, a ouvert la voie, avec prudence, à la légalisation d’une aide active à mourir, à de strictes conditions.
Le débat sur la « fin de vie » suscite de nombreuses réactions parmi des associations, les sociétés savantes, les organisations de soignants… Et les appels, collectifs, à la prudence résonnent fort. Cela vous étonne-t-il ?
Au contraire, il est très sain que des professionnels de santé s’interrogent et soient vigilants. Le débat sur la fin de vie, tel qu’il a été ouvert, revient à questionner ce que soigner veut dire. Derrière la question générale de l’aide active à mourir, deux interrogations sont posées : l’acte de soigner peut-il aller jusqu’à administrer un produit létal à un patient ? Et l’acte de soigner peut-il aller jusqu’à accompagner un patient dans son suicide ?
Je n’ai pas beaucoup de doutes sur la deuxième approche : quand quelqu’un formule une demande d’assistance au suicide, ne pas l’explorer, ne pas l’écouter, serait pour moi le contraire du soin. En revanche, il me semble tout à fait normal que le fait d’administrer un produit létal, autrement dit, d’intervenir soi-même dans la mort d’autrui, pose question. Cela vient heurter les principes des soins palliatifs. Le fait de ne pas donner la mort est inscrit dans le serment d’Hippocrate.
Dispose-t-on d’une enquête, d’une photographie globale du positionnement des soignants ?
A ma connaissance, il n’y a pas de données quantitatives exhaustives, pas non plus de travaux de nature sociologique qui viseraient à aller à la rencontre des professionnels de santé dans leur approche particulière de la fin de vie. Des courants d’opinion s’expriment ; on lit ou on entend des prises de position, tribunes ou pétitions.
Les rares travaux qui ont porté sur la pratique de l’euthanasie, chez nos voisins qui l’ont dépénalisée, ont montré que c’est un acte ambigu, qui pèse sur le plan psychologique et émotionnel. Des soignants peuvent pratiquer une, deux euthanasies dans l’année. Plus, cela devient compliqué. Ces retours d’expérience viennent renforcer la distinction que nous faisons, au sein du CCNE, sur ces deux formes d’aides actives à mourir [euthanasie et aide au suicide].
Y a-t-il, selon vous, une spécificité du positionnement des soignants par rapport au reste des Français ? Ceux-ci, si l’on s’en tient aux sondages, sont majoritairement favorables à une évolution de la loi…
Les Français sont conceptuellement d’accord avec l’idée qu’on peut maîtriser sa fin de vie, c’est ce que disent ces sondages. J’ajoute que les Français sondés ne sont pas malades. Les quelques travaux de recherche auxquels j’ai participé avec l’Institut national d’études démographiques, ceux dont on dispose sur les infirmiers et la pratique de la sédation, montrent en effet que plus un patient s’enfonce dans la maladie, plus il a tendance à changer d’avis. Il est assez facile de parler de la fin de vie « à distance ». Le soignant impliqué a nécessairement une vision différente de celle d’un autre citoyen.
Il vous reste 41.02% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.